Tahuta, le secret d'une île

Chapitre 24

Victoire savait que ce n'était pas une bonne idée. Et pourtant, elle n'avait pu retenir son ami. Lui qui était d'ordinaire assez réfléchi avait décidé de rencontrer les bannis sur un coup de tête. Ils avaient pourtant si peu de preuves... Ce n'était décidément pas une bonne idée ! Malgré ça, Victoire n'avait pu se résoudre à le laisser entreprendre la chose seul. Aussitôt qu'il s'était levé, sans espoir de reddition, elle l'avait suivi. Cela l'avait peinée qu'il n'ait pas pris le temps d'en discuter avec elle. Au contraire, il agissait impulsivement et stupidement. Les hommes qu'est-ce que ça peut-être stupide parfois, s'énerva intérieurement Victoire. Liam avait suivi le pas. Pas volontairement, elle s'imaginait bien. Mais Ma Roana n'aurait jamais laissé sa fille adoptive et son ami se mettre ainsi en danger sans rien faire pour éviter un fiasco. Elle savait qu'avec Liam à leurs côtés, elle pouvait avoir l'esprit plus tranquille. Même si l'entreprise était folle. Ils étaient tous d'accord, l'entreprise était totalement folle ! A quoi pensait Paul ? Et il ne l'attendait même pas ! Il s'enfonçait dans la forêt de façon hasardeuse. La direction qu'il suivait ? La partie basse de l'île, au-delà de la montagne sacrée. Il marchait vite et de façon résolue. Liam parvint rapidement à rattraper Victoire. Mais plus ça allait, plus elle perdait Paul de vue. Les arbres l'empêchaient d'avoir une visibilité lointaine. Quoiqu'elle se demandât si elle suivait bien les traces de Paul, elle continua à marcher énergiquement, Liam à ses côtés, Maurice dans les alentours qu'elle aperçut sauter de branches en branches. Elle prit un coup à gauche, un autre coup à droite sans trop savoir où elle allait. Il n'y avait pas de chemin tracé. Pas non plus d'habitations. Ici, la nature prenait le dessus. La rosée du matin humidifiait ses pieds à travers ses sandales et le trille des oiseaux la prévenait. Elle imaginait les volatiles prononcer des mises en garde par le biais de leurs chants. Elle aurait voulu pouvoir parler leur langage pour leur demander s'ils n'avaient pas vu un garçon blond à la barbe naissante. Malheureusement, la nature ne lui accorderait pas ce privilège. Ses yeux regardèrent attentivement le sol pour repérer la moindre trace, mais il lui était impossible de savoir si quelqu'un était passé avant elle. De plus, la probabilité pour que Paul ait emprunté exactement le même chemin était faible. Il aurait pu passer à gauche de l'arbre, puis ensuite prendre à droite. Il y avait tellement de possibilités pour atteindre la partie basse de l'île. Cela l'agaçait. Et ces oiseaux qui n'arrêtaient pas de chanter, comme s'ils se moquaient de la situation, comme s'ils se moquaient d'elle qui n'avait rien pu faire pour empêcher ça.

-On devrait prendre par là, dit Liam.

Victoire prit soudain conscience de sa présence. Elle n'avait que Paul en tête. Elle était contrariée. Elle aurait préféré qu'il ne soit pas là. D'un autre côté, sa présence pouvait être utile. Il avait une bonne connaissance du terrain. Il possédait une expérience qui pourrait les aider à savoir comment se comporter avec les bannis. Et puis, il faisait impression, contrairement à Paul et elle qui n'avaient pas même la taille du plus petit tahut adulte.

-D'accord, je te suis.

De ses jambes musclées, Liam donna davantage de rythme à leur marche. Victoire devina qu'il cachait bien son calme. Elle repensa à ce qu'il lui avait dit des bannis la veille même : « Ces gens sont fous ». Combien étaient-ils ? Etait-ce vraiment eux qui avaient détruit le bateau ? Pour le coup, Victoire n'avait aucune intuition. Ca aurait pu être n'importe qui. Mais d'un autre côté, Ma Roana avait raison, il fallait réfléchir à quelle personne cet acte aurait pu bénéficier. Où était le mobile dans tout ça ? Les tahuts étaient tellement philosophes, agissant toujours avec justice, mesure, et réflexion. Elle aurait mal vu qui que ce soit agir pour leur porter préjudice. Surtout que tout le monde l'aimait bien au village. Tout le monde la considérait comme médecin, même si elle restait l'élève de Talia. Et il n'était pas très judicieux de se mettre un médecin à dos. Sauf si on est le Chef. Et si c'était le Chef ? Victoire devina que les mêmes questions émergeaient dans l'esprit de Liam. Ils auraient pu partager leurs théories, lesquelles auraient sans doute été plus surprenantes les unes que les autres, mais Victoire n'en avait pas vraiment envie. Elle s'inquiétait réellement pour Paul. Elle avait un mauvais pressentiment. Et puis, il n'y avait pas que cela. Ma Roana avait encore raison sur un point : il fallait se demander qu'est-ce que pouvait faire l'individu qui avait fait ça, de l'information. Quelles seraient les conséquences pour eux, pour Liam ? Ils arrivèrent bientôt à la montagne sacrée. Victoire reconnut l'endroit où, quelques mois plus tôt, ils étaient allés chercher des troncs de bois pour construire leur bateau. Liam avait voulu récupérer ceux déjà tombés au sol à cause d'un orage, par souci d'animisme. Aujourd'hui, on pouvait constater que d'autres étaient encore tombés à cause de la tempête qui avait sévi récemment, emmenant avec elle un petit garçon. Soudain, Victoire sentit une autre présence que la sienne et celle de Liam, non loin, dans les fougères. Un animal ? Paul ? Cette présence, Liam l'avait lui aussi sentie. Tout comme elle, il s'était figé, tous ses sens en éveil. Encore quelques secondes et la chose sortirait des arbres qui l'empêchaient d'être discernée... Victoire aperçut alors un vêtement de femme. Ses muscles se détendirent. Elle reconnut même de profil le visage triste de grand-mère Iguane. Le bruit des fougères cessa. Grand-mère Iguane s'était arrêtée, sentant elle aussi leur présence. Elle n'était pas seule. Un quarteron de personnes l'accompagnait. Dans ses mains, un grand vase dont Victoire devina le contenu, reposait. Grand-mère Iguane regarda Victoire de bas en haut et dit à l'intention de toutes les personnes qui la suivaient de s'arrêter avant de venir à la rencontre de la jeune fille. Comme à l'accoutumée, elle posa sa main sur l'épaule de celle qui n'était à présent presque plus une étrangère, et Victoire répondit à la salutation en faisant de même.