Tahuta, le secret d'une île

Chapitre 40

La mer se jetait sur la plage. A cette heure matinale, la marée était basse. Cela donnait l'effet d'une plage immense, cependant bien remplie par les habitants de l'île et par le bateau. Ils se sentaient tous concernés par ce départ : que ce fût les bâtisseurs qui avaient aidé à la construction du bateau, les autres habitants qui avaient participé à recueillir de la nourriture et des objets utiles pour la traversée, ou ceux qui avaient fait œuvre de leurs mains pour porter le bateau jusque-là, tout le monde avait accompli quelque chose. Il avait fallu une journée pour les préparatifs et Victoire et Liam avaient manifesté le désir de partir dès le lendemain. C'est pourquoi tous les habitants étaient réunis ce matin-là, pour dire au revoir aux deux tahuts, pour voir se réaliser l'impensable : le départ toléré et même accepté de deux des leurs pour l'autre monde. Une nouvelle ère s'ouvrait-elle avec cet événement ? Sans doute pas, mais un profond changement des mentalités vis-à-vis du monde de l'extérieur. Pendant des mois, ils avaient été les témoins de l'existence de deux êtres qui venaient de l'extérieur et qui contrairement à ce qu'on leur avait fait intégrer, n'étaient pas profondément mauvais et corrompus. A proximité de Liam et Victoire, les personnes qui avaient compté dans leurs vies tahutiennes étaient présentes. Les autres, pour respecter des au revoir plus exclusifs, restaient en retrait. De loin, on pouvait sentir leur émotion. Victoire aurait voulu tous les remercier d'avoir fait partie de sa vie même infinitésimalement. Et quand elle regardait Ma Roana, sa reconnaissance était encore plus grande. Ma Roana pleurait, parce qu'elle était un être doué de bonté et de sensibilité unique en son genre, et quand elle prit successivement Liam et Victoire dans ses bras, cette dernière sentit toute la chaleur qu'elle aurait été encore capable de leur donner et qu'elle continuerait à leur vouer même lointainement.

-Prends soin de toi ma fille. Je serai toujours là, de l'autre côté de l'océan, si un jour tu as l'envie de revenir. Sache que tu as une famille ici, dit-elle en effleurant le pendentif en forme d'ours qui pendait à son cou.

-Merci Ma, tu as été la meilleure famille qui soit. Si tu savais comme je suis reconnaissante...

Et elle étreignit Ma une nouvelle fois. Sur leurs joues, des larmes coulaient. Victoire essuya les siennes quand elle releva la tête et libéra Ma Roana de son étreinte. La femme les laissa couler, bien loin d'être aussi honteuse que l'Européenne avec ses émotions.

Puis, avant de s'écarter, Ma Roana éleva sa main pour la faire glisser sur la joue de son fils et un regard suffit pour lui exprimer tout l'amour qu'elle lui portait. Victoire pensa qu'elle quitterait Liam sur ce geste tendre mais elle lui indiqua de se rapprocher et quand il se baissa vers elle pour l'étreindre elle lui chuchota quelques mots à l'oreille. Puis quand ses lèvres s'éloignèrent de l'oreille de l'homme, elle sourit pour rejoindre le groupe au loin, et ce fut le dernier sourire franc de Ma Roana que Victoire vit. Talia vint à son tour auprès de Victoire. Elle lui prit prestement les mains et la regarda droit dans les yeux. Victoire pensa qu'elle avait décidément le regard d'une louve. Talia était une femme forte, ça se lisait dans son regard. Elle ne pleurerait pas, et pourtant... quand elle prononça ces mots, sa voix vacilla.

-Je ne peux pas m'empêcher de penser à Paul en te voyant partir aujourd'hui. Il aurait dû repartir avec toi, sa vie n'aurait pas dû s'arrêter ici. Mais en te voyant nous quitter j'ai l'impression de te perdre également. Je perds une remarquable apprentie. Tu me manqueras, Victoire.

-Tu me manqueras aussi Talia. Tu m'as énormément appris ici, tu représentais plus qu'une maîtresse d'apprentissage pour moi, tu étais une sœur. Merci, je ne t'oublierai pas.

Talia eut un sourire contenu, comme habituellement. Elle n'était pas du genre à manifester des émotions extrêmes. Mais elle était touchée, c'était visible. Elles s'étaient appréciées pour ce qu'elles étaient réellement après avoir appris les singularités l'une de l'autre, confrontées à toutes sortes de situations, et Victoire n'avait passé plus de temps avec aucun autre tahut qu'elle.