16. Chute libre

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— As-tu bien refermé ta combinaison Jean ? me demanda soudain une voix familière venant interrompre ma lecture.

Elle me fit rougir... Quelqu'un aurait-il pu assister à nos adieux intimes ? Ce ne fut qu'après quelques secondes que je réalisai qu'il s'agissait de Noé qui ne faisait que s'assurer de la bonne exécution des procédures. Je lui répondis en replaçant précautionneusement le carnet, que je considérais à présent comme une véritable relique, dans ma poche. 

— Oui, merci, Noé, je suis fin prêt. Tu peux ouvrir le sas, nous y sommes presque !

Les portes coulissantes s'entrouvrirent, une fois l'air évacué par les petits orifices prévus à cet effet. Je me forçai à ne plus penser au terrible récit que je venais de lire... Une lumière rouge, accompagnée de la tonalité d'alarme signalant mon éjection imminente, me remit les idées en place.

Les différentes étapes de ma descente me revinrent en mémoire. J'eus l'impression que le vide frigorifiant transperçait une à une les couches de ma combinaison. Les sons émis par ma respiration devinrent omniprésents, de même que les battements effrénés de mon cœur !

Il ne fallait plus perdre de temps. Nous survolions déjà depuis quelques instants l'endroit prévu ! Je fermai les yeux en aspirant une grande bouffée d'air, afin de me calmer un tant soit peu, avant de me propulser hors du vaisseau. Les visions cauchemardesques de mon corps sans vie flottant dans l'espace revinrent soudain à ma mémoire. Je restai figé, durant ce qui me parut être d'interminables secondes, en m'agrippant à l'ouverture du sas. Je croyais avoir oublié ces hallucinations, mais elles étaient toujours là, enfouies au plus profond de mon subconscient...

Clair Éther Jean ! me lança la voix autoritaire de Noé qui me fit enfin rouvrir les yeux.

Je contemplai la magnifique couleur bleue d'Éden pour oublier ce vide étoilé qui m'entourait. Je m'élancai, tête la première, en écartant les bras comme s'il m'avait été possible de planer, tel un oiseau, jusqu'à la surface de cette merveilleuse planète. Le spectacle auquel j'assistais était magnifique, bien plus impressionnant que les images que nous avions vues sur les écrans de contrôles ou même à travers le dôme de notre coupole.

Luna remplissait la plus grande partie de mon champ de vision. Éden semblait flotter au-dessus d'elle comme une énorme bulle d'eau en suspension. Elle était d'une couleur bleue électrique, encore plus pure que celle de notre Terre. Quelques continents, aux formes fines et escarpées, parsemaient ses nombreux océans. Les sommets de leurs montagnes étaient recouverts de neiges. Leur blancheur éclatante venait se confondre à l'importante masse nuageuse qui occultait toujours une bonne partie de sa surface.

Soudain la chaleur intense, provoquée par mon contact avec les premières couches de l'atmosphère, pénétra ma combinaison, réchauffant agréablement mon corps glacé par le vide spatial... Une odeur suspecte de plastic brûlé vint m'avertir que mon accoutrement était déjà en train de fondre !

Il était grand temps de déployer la magnétosphère destinée à me protéger des températures extrêmes qui allaient bientôt être générées par ma décélération. Je me mis instinctivement dans la position du fœtus, juste avant de l'activer en tentant d'oublier l'explosion de lumière et de chaleur qui s'intensifiait autour de moi.

Vu de la surface, je devais à présent offrir le spectacle d'une petite étoile filante, venant griffer le ciel d'Éden... Mais qui aurait bien pu deviner qu'il s'agissait, sans doute, de la première visite d'une forme de vie étrangère sur cette planète ?

Mes pensées cessèrent, petit à petit, de me distraire et ma mission reprit progressivement le dessus. Le calme et le silence du vide spatial furent rapidement remplacés par le vacarme assourdissant, des vibrations provoquées par mon entrée à grande vitesse dans l'atmosphère.

J'étais littéralement en train de bouillir ! Combien de temps résisterais-je encore à de telles températures ? Plus aucun contact radio n'était possible avec le vaisseau qui devait être bien loin de moi, à présent. Si je venais à perdre connaissance, ma magnétosphère m'entraînerait inexorablement dans sa chute... jusqu'à notre désintégration à la surface !

Cette situation me rappela le triste sort de ce malheureux cosmonaute russe qui s'écrasa, de façon similaire, dans les steppes de l'Oural. Quelles avaient pu être ses dernières pensées ? Sa chute interminable avait dû être horrible.

Je ne pouvais pas m'évanouir. Personne ne tenterait de me rappeler à l'ordre. J'étais totalement livré à moi-même ! Je décidai alors de chanter, un de mes refrains favoris, à haute voix. J'étais littéralement broyé par les forces de décélération. Mon sang bouillait dans mes veines dilatées par le stress et la chaleur.

Les sons que j'émettais devaient plus ressembler à des cris de détresse qu'aux chants harmonieux que nous avions l'habitude de fredonner, durant nos longues soirées dans la coupole. Mais qu'à cela ne tienne, personne ne pouvait m'entendre et ce subterfuge me permettrait, peut-être, de ne pas perdre conscience...

L'intensité des flammes qui m'entouraient commença à diminuer. Ma vitesse avait été réduite de façon suffisante pour me permettre d'entamer la prochaine étape de ma descente. L'instant était venu de me libérer de mon cocon protecteur afin de me lancer dans un impressionnant vol plané. Celui-ci ne durerait guère plus de quelques minutes. Mais il me permettrait, grâce aux petites ailes que j'allais déployer en écartant légèrement les bras et les jambes, de parcourir la distance qui me séparait encore de la zone d'atterrissage.

Ma finesse ne me permit néanmoins pas d'éviter les quelques nuages qui étaient encore en face de moi. Je fus contraint, pour d'interminables instants, de faire entière confiance au système de navigation qui visualisait ma trajectoire.

Après de longues secondes, passées à suivre aveuglément les instructions projetées à travers la visière de mon casque, je sortis enfin de cet épais brouillard blanc et humide pour me retrouver au milieu d'une énorme vallée. Celle-ci allait me mener vers le plateau où nous avions décidé de nous installer.

Je pris un malin plaisir à venir frôler les derniers murs de roche qui m'entouraient encore. L'excitation provoquée par ma vitesse me grisait à tel point que je faillis oublier d'ouvrir mon parachute de freinage. Je m'imaginais pouvoir atterrir ainsi, sans avoir à le déployer, comme si je m'étais retrouvé aux commandes d'un de ces petits chasseurs FXS qui me manquaient tellement !

La vallée escarpée dans laquelle je me déplaçais à grande vitesse fit place à un magnifique plateau. Celui-ci semblait s'étendre jusqu'à l'océan, que je pouvais à présent apercevoir à l'horizon. Mon altitude n'était plus que de quelques centaines de mètres lorsque j'eus finalement le réflexe d'éjecter le parachute extracteur qui me freina violemment, tout en déployant mon imposante voilure de vol plané.

J'allais grâce à elle pouvoir me diriger, en douceur et avec précision, vers ma zone d'atterrissage. Ma finesse s'était grandement améliorée et ma vitesse n'était plus que d'une quarantaine de kilomètres à l'heure. Celle-ci me permettait enfin d'admirer pleinement les détails du paysage que je venais de pénétrer...

Homo Sum 2 : l'éveil de l'humanité (Episode 2 : Révélation)Where stories live. Discover now