21. Ezéchiel

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Les longues heures que j'avais passées à étudier la Bible durant notre exil me permirent de mieux comprendre la signification de cette vision étrange. L'esprit flottant au-dessus des quatre roues était la silhouette de la Nouvelle Chance assise sur les jets de feux et de lumière de ses réacteurs. En l'ayant vue récemment s'approcher de moi, elle avait vraiment l'allure d'un énorme buste humain : Yahvé dans son char de gloire !

Nos quatre coupoles avaient également été parfaitement décrites avec leurs arceaux leur donnant l'aspect de roues entourées d'autres roues. Chacune d'elles avait suivi son petit ange à quatre ailes, décrits par Ezéchiel comme des animaux fantastiques. Des éclairs lumineux jaillissaient des torches qu'ils portaient sur leur casque afin d'éclairer le terrain qu'ils survolèrent.

Leurs quatre faces correspondaient exactement aux symboles des apôtres qui avaient donné leurs noms aux quatre pères de nos enfants ! En effet, Mathieu était l'incarnation charnelle du Christ, symbolisée par l'homme. Marc représentait son pouvoir régalien et était donc symbolisé par un lion. Luc, quant à lui, symbolisait, avec la vision de Zacharie, le prêtre, et était représenté par le veau sacrifié. Et enfin moi-même : Jean, s'élevant sur les ailes de la contemplation théologique, était symbolisé par l'aigle... l'oiseau de feu qui s'était posé en premier sur ce nouveau monde !

J'étais désormais convaincu qu'il y avait quelque part un esprit, une intelligence supérieure qui contrôlait notre destinée. Peut-être était-ce cette divinité suprême, qui avait revêtu tant de visages et fut appelée de tant de noms au cours des siècles. Mais dans quel but nous avait-elle guidés jusqu'ici ?

Je continuai, aux côtés de Marie, de parcourir les récits d'Ezéchiel pour essayer de comprendre le sens de ses prophéties. Et de quelle façon les événements qu'il avait vécus, il y avait de cela trois mille ans, pouvaient être mis en rapport avec ce que nous étions en train de vivre à présent.

Ils dataient de l'an 570 avant notre ère. Du temps où les premiers croyants furent déportés de Jérusalem vers Babylone par les israélites infidèles rejetant le dieu Yahvé... Ezéchiel fut probablement exilé dès la première déportation. Il suivit la progression des événements comme un expatrié dont tout l'intérêt, toute la nostalgie, était attaché à la vie de ceux qui restèrent au pays.

Ce fut sous l'emprise de la main du Seigneur, la même emprise qui l'avait placé en présence du char de Yahvé, au bord du fleuve Kebar, qu'il saisit avec horreur les péchés de Jérusalem. Yahvé reprocha à ses habitants leur idolâtrie pour une divinité païenne : Tammuz. C'était l'équivalent babylonien de Baal, le dieu avide de sacrifice d'enfants. Il était accompagné de sa maîtresse, la déesse nue : Ashera-Astarte.

Je m'attardai plus en détail sur la description de ce châtiment suprême... Ezéchiel le décrivit comme étant opéré par six hommes, et non sept. Ce qui signifiait la totalité moins « quelque chose », dans l'ancien esprit hébreu.

Le septième homme était un scribe et un prêtre. On le reconnaissait par ses habits de lin blanc. Il fut chargé d'effectuer une discrimination au nom de Yahvé. Non pas arbitrairement, mais en fonction de la compromission éventuelle de chaque individu avec le culte des idoles. Cette discrimination reproduisit celle qui avait été opérée jadis par le sang de l'agneau, lors de la 10e plaie d'Égypte et du passage de « l'Ange Exterminateur ».

L'homme aux vêtements de lin désigna alors, sur la base de leur fidélité envers l'alliance, ceux qui pourraient devenir les membres du futur « Peuple de Dieu ». Seuls ces quelques élus échappèrent ainsi à son jugement et à l'extermination des habitants de la cité maudite, commandée par Yahvé du haut de son char de gloire. Celle-ci fut suivie de la destruction totale de la ville par le feu. Le char quitta alors Jérusalem, détruite, pour rejoindre le petit nombre des exilés en Babylonie...

Mais quel était donc ce dieu exterminateur ? Et qui était cet homme aux habits de lin, celui qui fut décrit comme le septième homme du châtiment divin ? Pouvait-il s'agir de notre Maître ? Il avait effectivement été chargé de choisir ceux qui feraient partie de notre évasion. Avait-il sélectionné Marie, afin qu'elle devienne la mère des enfants de cette nouvelle race élue qui viendrait coloniser le monde que ce dieu sanguinaire avait décidé de nous offrir ?

Et quels étaient alors ces six autres hommes ? Pourrait-il s'agir des responsables de ces six mystérieuses explosions nucléaires qui furent à l'origine de la guerre apocalyptique décrite dans le journal de notre astronaute solitaire du 21e siècle ? Et quel sort était, à présent, réservé à tous ceux que nous avions lâchement abandonnés sur les différentes planètes de notre système solaire ?

J'avais la conviction que quelque part, sur chacune de ces planètes colonisées, six individus allaient à nouveau mettre à exécution cette sentence divine. Celle-ci était destinée à exterminer la race humaine pour la punir de ne plus avoir eu la foi ! Et nous ne pourrions rien faire pour les en empêcher...

Je me souvins alors de mes parents, de mes frères et de mes sœurs, de ma jeune compagne et de tous ceux dont le seul crime avait été de ne pas s'être révolté, comme nous l'avions fait, contre la société dont ils faisaient partie. Ils avaient accepté de n'avoir pour seule religion que la survie de leur espèce et ils s'étaient abandonnés à l'idolâtrie de la toute puissante Fédération, bien malgré eux... Cela les aurait-il condamnés ?

Marie Madeleine, ennuyée par ces réflexions bien trop sérieuses à son goût, était en train de jouer dans le vent, au bord de la falaise, avec ses quatre chérubins. Je les regardais avec beaucoup d'amertume, en me rappelant les instants magiques que j'avais vécu avec mes frères et mes sœurs dans les champs du village de mon enfance.

Je m'inquiétais de ce qui allait leur advenir. Qu'allait-il, ou que leur était-il déjà arrivé, depuis cette bonne trentaine d'années, durant laquelle nous les avions abandonnés à leur triste sort ? La voix de Marc me sortit de mes pensées...

— Jean, viens, tu reprendras tes lectures plus tard, nous allons chercher du bois pour faire un grand feu au pied de notre cité et fêter notre arrivée !

— Allez-y, lui répondis-je sans même me retourner. Je vous rejoindrai plus tard. Il faut que j'aille chercher mes notes dans la coupole.

— Bon sang, Jean, nous venons d'y passer plus de trente ans. Ne peux-tu pas oublier tes notes pendant quelques heures pour venir découvrir les environs avec nous ?

— Non, allez-y avec Marie. Cela lui changera les idées, lui rétorquai-je en souriant. Elle en a bien besoin. Elle s'est remise à entendre des voix la nuit dernière !

Marc fixa notre compagne avec résignation. Il comprenait qu'il ne servait à rien d'insister. Marie le suivit, en sachant pertinemment bien que j'avais de plus importantes choses à faire...

Homo Sum 2 : l'éveil de l'humanité (Episode 2 : Révélation)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant