2. Bonne nouvelle

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Marie Madeleine vint danser auprès de moi lors d'une de nos longues soirées, passées sur la cime des arbres. Elle m'entraîna dans les airs comme elle seule savait le faire, prit ma main, la plaça contre son ventre en nous faisant tournoyer dans l'apesanteur grâce à ses énormes ailes. Elle m'annonça, en souriant, qu'elle portait notre enfant, sans m'accorder plus d'attention pour cela. Elle continua à danser avec mes compagnons.

Je me souviendrai toujours du sentiment de fierté intense que je ressentis ce soir-là en retournant vers mon abri. Je n'y dormis pas de toute la nuit... Peu importe, j'avais pris assez d'avance ces vingt dernières années pour me permettre de passer une nuit blanche, de temps à autre !

Je me rendis compte que mon bonheur était presque parfait. Je vivais dans une société qui correspondait totalement à mes valeurs et à mes espérances. Notre avenir nous souriait en faisant miroiter la découverte d'un monde nouveau. Et... chose encore plus inespérée, j'allais devenir le père d'un enfant, qui grandissait dans le ventre de la femme que j'aimais !

Une seule ombre venait assombrir ce tableau : cette passion incontrôlable, qui brûlait pour elle au fond de mon cœur... Marie Madeleine ne semblait pas du tout s'inquiéter de la douce, mais terrible, torture qu'elle m'infligeait à chaque fois qu'elle s'approchait de moi. Je décidai donc, bien à contrecœur, d'éviter d'entrer en contact avec elle !

J'avais choisi de me consacrer entièrement à la préparation de notre mise en orbite autour de notre mystérieuse destination. Nous l'avions baptisée « Éden », en référence à ce monde idyllique décrit dans notre Bible que je continuais inlassablement de déchiffrer, page après page, durant mes instants de détente.

Nous avions divisé les deux cents survivants qui restaient à notre bord, après plus de vingt années de dérive, en trois groupes distincts...

Je fus mis à la tête du premier, composé des plus jeunes hommes, il avait reçu la tâche de préparer notre arrivée sur Éden. Nous avions longuement analysé les paramètres de notre atterrissage en fonction de la force gravitationnelle, du relief et de la densité de cette petite lune. Les réacteurs du TXL1138 seraient, sans aucun doute, à même d'assurer notre décélération initiale, ainsi que notre descente vers l'endroit où nous choisirions de nous poser.

Notre bouclier thermique était assez grand pour protéger les coupoles de l'échauffement provoqué par la pénétration dans les couches de plus en plus denses de notre future atmosphère. Elles resteraient fixées au tube central du vaisseau, jusqu'à ce que nous ayons suffisamment décéléré et qu'elles puissent s'en séparer sans danger. Leurs pilotes pourraient alors rechercher l'emplacement idéal où elles viendraient se poser en s'arrimant les unes aux autres.

Le second groupe, dirigé par Marie, était composé des jeunes femmes de notre communauté. Il fut chargé de l'éducation des enfants... ainsi que de leur turbulente mère tout en les préparant à survivre, de façon autonome, sur notre petite lune.

Il leur faudrait s'adapter à nos nouvelles conditions atmosphériques et à cette pesanteur à laquelle ils n'avaient encore jamais été confrontés. Ils devraient apprendre à se servir de leurs ailes, non plus seulement afin de se mouvoir comme de petits poissons en apesanteur, mais pour arriver à voler comme de véritables oiseaux !

Nous allions tester ces théories audacieuses dans notre espace gravitationnel. Les muscles de nos bambins, tout comme ceux de Marie Madeleine, allaient devoir suffisamment se renforcer pour atteindre les résultats escomptés...

Et enfin, le troisième groupe, formé des membres plus âgés de notre communauté (ceux qui n'avaient que très peu de chance d'arriver au bout de notre voyage), était chargé d'organiser notre vie quotidienne à bord du vaisseau. Il était responsable des décisions qui avaient trait à notre vie en communauté et jouait aussi le rôle d'arbitrage d'éventuelles discussions ou désaccords, par l'entremise du « Conseil des Sages ».

En plus de la charge de travail imposée à ces trois équipes, nos activités quotidiennes occupaient chacun d'entre nous. Il s'agissait des activités physiques essentielles au maintien d'un tonus et d'une masse musculaire suffisante durant notre long séjour en apesanteur ; et bien évidemment de la culture des plantes et des fruits nécessaires à notre survie.

Nous nous étions également construit quelques armes de fortune. Ces dernières pourraient nous être utiles lorsque nous serions arrivés sur notre nouveau monde. Les plus efficaces d'entre elles étaient les arcs qui nous permettraient de chasser les malheureux animaux que nous rêvions, d'ores et déjà, de faire rôtir au coin du feu.

Nous nous entraînions, chaque jour, à décocher nos flèches sur des cibles représentant le genre de petits mammifères que nous espérions rencontrer. Quant à la dizaine d'armes de poing qui faisaient partie de l'arsenal du vaisseau, nous avions décidé de nous en servir uniquement pour assurer notre défense si le besoin s'en faisait sentir.

Il m'arrivait quelquefois de m'aventurer au sommet de la tour, là où jouaient nos enfants, pour admirer leur élégance et leur dextérité à se mouvoir guidés par la tendre supervision de leur mère et de Marie. Les deux garçons semblaient constamment vouloir protéger leur petite sœur. Ils ne la quittaient pas d'un pouce.

Ils avaient, tout comme Marie Madeleine, chacun reçu un prénom composé... cette fois-ci, à partir du nom de leur père respectif. Il y avait Judas Matthieu, le fils de Matthieu, nommé ainsi en l'honneur de notre compagnon disparu. Marc avait appelé son fils Jean Marc, en croyant ne plus jamais me revoir éveillé, ce qui me toucha profondément. Et enfin, la petite dernière était devenue Marie Luc, en l'honneur de Marie ; sans laquelle nos rêves de colonisation n'auraient été que douces chimères.

Les jours et les mois s'écoulèrent à une cadence telle que je ne me rendis compte qu'au dernier instant que Marie Madeleine était sur le point d'accoucher ! Son ventre rond n'enlevait rien à sa beauté ni à son élégance. À partir de cet instant, je n'eus d'attention que pour elle ! L'espoir de prochainement devenir père me remplissait de joie et de fierté. Je ne voulais pour rien au monde être privé de voir, de sentir, d'écouter grandir la vie dans le ventre de la mère de mon enfant. Celle-ci s'étonnait de mes excès d'attention. Aucun de ses autres amants n'en avait fait preuve auparavant !

Elle commençait à réaliser combien je l'aimais. Nos contacts devinrent de plus en plus fréquents et intimes, au fur et à mesure que le moment, tant attendu, approchait. Il nous arriva même parfois de passer la nuit ensemble dans son nid ; là-haut... où tout avait commencé. Un sentiment profond et partagé ne tarda pas à nous unir.

Les enfants m'avaient, eux aussi, adopté en me considérant pratiquement comme leur père. Ils prenaient un malin plaisir à m'emporter dans les airs vers leur demeure suspendue où ils passaient le plus clair de leur temps auprès de leur mère.

Ce magnifique nid, accroché à l'apogée de l'arceau de notre coupole était assez volumineux pour permettre à ses trois bambins d'y évoluer aisément. Et sa surface intérieure était couverte de mousses et des quelques fleurs que Marie Madeleine y avait semées...

Lorsque l'un de nos deux phares passait à sa verticale, il provoquait un torrent de lumière donnant à cet endroit un aspect féerique, me rappelant la vision que j'eus de cette magnifique femme oiseau, le jour où elle m'y emmena pour la toute première fois... Elle avait bien changé. Son ventre et ses seins gonflés ne laissaient plus aucun doute quant à l'imminence de l'événement tant attendu.

Homo Sum 2 : l'éveil de l'humanité (Episode 2 : Révélation)Where stories live. Discover now