10. Judas

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Ce fut comme si le vaisseau tout entier était en train de renaître. Nos écrans se rallumèrent l'un après l'autre, permettant enfin à mes compagnons, restés dans la pénombre de la salle de contrôle, de réaliser le succès de ma mission... Je pus entendre leurs cris de joie, résonnant dans mes écouteurs reliés à l'intercom central.

L'ordinateur ne sembla pas leur accorder trop d'importance, il devait effectuer sa séquence de tests automatiques de réalignement après sa longue mise en veille. Une fois la totalité de ses connexions rétablie, je me dirigeai, non sans réconfort, vers la zone habitée...

C'est alors que j'aperçus une silhouette baignant dans la lumière rouge du sas dans lequel je venais de pénétrer. C'était un scaphandre, pareil au mien, qui flottait dans l'apesanteur ambiante ; juste en face de moi. Il était si proche que je pus distinguer une forme inerte à travers sa visière. Il s'agissait du visage, sans vie, d'un enfant d'une quinzaine d'années. En le fixant plus attentivement, je pus deviner les traits momifiés de Judas !

Il était resté ici, dans l'obscurité, durant toutes ces années. Je ne l'avais pas remarqué lors de mon arrivée, car il faisait bien trop sombre avant que l'ordinateur ne fût réactivé. Mais j'avais l'étrange souvenir de l'avoir frôlé, lors de mon premier passage à cet endroit précis.

Qu'avait-il bien pu lui arriver ? Pourquoi n'était-il pas venu nous rejoindre, après avoir déconnecté l'ordinateur, permettant ainsi notre évasion ? Au fur et à mesure que les questions surgissaient, des réponses émergeaient dans mon esprit.

J'en arrivai à la terrible conclusion que c'était moi qui l'en avais empêché en enclenchant la surpuissance des réacteurs, avant qu'il n'ait eu le temps de se réintroduire dans la zone protégée... Le malheureux avait dû être irradié de façon irréversible. Il fut paralysé au moment même où, sans doute enivré tout comme moi par l'euphorie d'avoir mené à bien sa tâche, il tentait de nous rejoindre.

Son corps mutilé n'avait plus eu la force de se hisser vers nous. L'énorme accélération, occasionnée par ma manœuvre, l'avait emprisonné ici dans ce petit sas baignant dans la pénombre durant un laps de temps indéfini.

Quelle fut la durée de son agonie ? Quelques secondes, quelques heures... ou bien de longues journées ? Je ne voulais plus y penser. Le fait de me sentir responsable de cette mort horrible me faisait totalement oublier la joie provoquée par le succès de ma mission.

Ce fut alors que j'aperçus le petit bloc-notes qu'il tenait entre ses doigts crispés, comme s'il venait tout juste d'y écrire un dernier message. Je le détachai, non sans peine, de son gant gelé pour y lire les inscriptions suivantes : « Bonne chance à vous tous! ». Son visage était encore dans un excellent état de conservation. Il me permettait même de distinguer le léger sourire qui s'affichait ironiquement sur ses lèvres... sans vie !

Ses yeux semblaient me fixer, mais je n'eus pas le courage de soutenir son regard. Je me rendis rapidement de l'autre côté du miroir, sans me retourner, comme un voleur, ou plus exactement : un meurtrier... sans même essayer d'emmener la dépouille de notre malheureux compagnon avec moi.

Les souvenirs de notre départ pour notre toute première mission spatiale remontèrent alors à mon esprit. Les jeunes cadets que nous étions, fraîchement sortis de la Pyramide, éprouvions tant de fierté à faire partie de ce monde que nous allions pourtant trahir quelques jours plus tard... sans même encore le savoir.

Mes pensées se dirigèrent tout particulièrement vers les instants que j'avais passés avec Judas... ce numéro qu'il fut pour moi avant que nous ne nous choisissions des prénoms. J'avais quelque peu perdu de vue la chronologie des événements, mais ces souvenirs me menaient inexorablement vers l'épisode dramatique de la mise à feu de nos réacteurs, lors de notre évasion.

Homo Sum 2 : l'éveil de l'humanité (Episode 2 : Révélation)Where stories live. Discover now