40. Aiguille et botte de foin

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Après avoir passé de longues heures à préparer la prochaine réunion, l'aîné des quatre pilotes regagna sa cabine. Elle baignait toujours dans l'obscurité et ses trois camarades semblaient encore profondément endormis.

Ils l'avaient pourtant bien entendu entrer, mais aucun d'entre eux n'osa lui adresser la parole. Ils ne savaient pas comment lui annoncer ce qu'ils venaient de découvrir... ni quelle serait sa réaction lorsqu'il apprendrait qu'ils s'étaient rendus dans la deuxième coupole ! Ils restèrent donc immobiles dans leur lit, feignant d'être assoupis.

— Vous dormez encore, leur lança l'aîné. Cela doit faire plus de douze heures que vous êtes couchés !

— Ah, te voilà, lui répondit la fille en s'étirant de façon théâtrale... Où étais-tu donc passé ?

— Le Second est venu me chercher pour planifier la suite des événements...

— Toi ? l'interrompit l'indiscipliné en riant.

— Un peu de respect, petit morveux, vous avez devant vous le Commandant de la toute nouvelle, mais déjà légendaire Escadrille Spatio-Temporelle !

— Une escadrille, répondit le quatrième. Mais nous ne sommes que quatre...

— Détrompe-toi, lui répondit son supérieur. Nous venons de décider d'équiper trois navettes supplémentaires afin d'accompagner nos quatre chasseurs dans l'espace-temps. J'aurai, dès lors, non seulement vous trois, mais une bonne trentaine de personnes sous mes ordres ! Pas mal comme promotion, non ?

— Et quelle sera notre mission ? demanda la fille intriguée.

— Notre première mission sera d'aller à la rencontre des Indésirables, dès que leur position aura été découverte. Le professeur a employé le terme de « négociation ». Mais il faudra bien qu'ils acceptent de se rendre... Nous devrons employer tous les moyens nécessaires pour y arriver. L'Amiral a décidé de ne plus perdre de temps ! Nos hautes tiges vont aller la briefer dans quelques instants à propos du résultat de nos discussions...

Ces dernières informations laissèrent bouche bée les trois autres pilotes. Ils se regardèrent avec hésitation... Fallait-il mettre leur chef au courant de leur découverte ? Et, si oui, lequel d'entre eux aurait le courage de le faire ? Ce fut enfin la fille qui prit l'initiative d'aborder ce sujet délicat.

— Nous sommes allés voir le technicien qui travaille sur les coupoles, dit-elle en se retournant dans son lit, feignant de se rendormir...

Un silence de mort s'abattit sur la chambre. D'un geste brusque, l'aîné se redressa sur sa literie en allumant la lumière.

— Je n'avais donné l'autorisation qu'à un seul d'entre vous d'y aller ! Que vous a-t-il dit ?

— Pas grand-chose, reprit la fille en lançant un regard complice à ses deux acolytes... à part que la nouvelle écoutille d'accès de notre mystérieuse deuxième coupole ne possède pas de verrous de sécurité. Nous nous demandons s'il ne faudrait pas mettre l'Amiral au courant...

Le visage du quatrième pilote devint rouge de colère. Son ami risquait d'avoir de gros problèmes lorsque l'Amiral apprendrait cela. Mais il ne dit rien. Sa compagne avait fait de son mieux pour lui éviter les foudres de leur aîné. Et il fallait absolument le prévenir en ce qui concernait l'écoutille non sécurisée. Peut-être se rendrait-il compte du danger qu'ils couraient tous !

— On ne mettra personne au courant de quoi que ce soit ! répondit l'ancien, exaspéré et fatigué. Je vous ai déjà dit que ça ne nous regarde pas...

— Mais tu as bien vu les taches rouges sur la coupole, reprit la fille en insistant. Il pourrait s'être passé quelque chose de grave à l'intérieur. Nous ne pouvons pas rester ainsi, sans rien faire. C'est pire que de l'indiscipline ça ! S'il te plaît, repose-toi et penses-y. Peut-être pourrais-tu en glisser un mot à l'Amiral ou au Second. Ta nouvelle position te permet de t'adresser plus facilement à eux. De toute façon, si tu ne leur dis rien, j'en parlerai au professeur...

La fille se recoucha en éteignant la lumière, faisant ainsi comprendre à ses trois compagnons qu'il était temps de laisser leur supérieur réfléchir à tout cela.

Lorsque le délai que lui avait imparti l'Amiral fut écoulé, le Second se rendit avec sa petite équipe dans son bureau afin de répondre à ses multiples questions. Ils furent accueillis par une femme fraîche et souriante qui avait même pris la peine de se doucher avant leur arrivée.

Ces trente années de voyage ne l'avaient pratiquement pas changée. Elle était toujours aussi belle que lors du tout premier discours qu'elle adressa à l'équipage... il y avait si longtemps déjà. Le Second semblait perdu dans ses pensées en l'admirant d'un air rêveur. Elle le rappela brusquement à l'ordre en lui lançant le petit assistant informatique qu'il lui avait donné la veille.

— D'accord pour votre proposition du personnel des trois navettes, lui dit-elle en souriant. Leur entraînement peut commencer immédiatement. Professeur, vous en superviserez l'exécution en mettant le nouveau CO de l'escadrille en charge des détails... Je vous rappelle que votre responsabilité principale réside dans l'exécution de notre saut retour vers la Fédération, une fois notre mission accomplie ! Prenez place à ma table, j'ai fait venir quelques rafraîchissements. Vous devez être exténués. Je ne voudrais pas que vous vous endormiez en face de moi...

Ils ne se firent pas prier pour s'asseoir et boire une gorgée du breuvage que l'Amiral leur avait préparé. Le visage du Chef technicien rougit en réalisant qu'il s'agissait de cet alcool dont lui et son équipe croyaient être les seuls à connaître l'existence. L'Amiral le regarda le sourire aux lèvres en disant :

— Eh oui, vous voyez qu'en bon commandant il n'y a aucun secret qui me résiste à bord de mon vaisseau !

Ils goûtèrent tous à cette fameuse boisson, appréciant la légère euphorie qu'elle provoquait... ainsi que la confiance que leur accordait l'Amiral. Le Second prit alors la parole :

— Voici les réponses aux questions que vous m'avez posées, Amiral : en ce qui concerne l'anneau, il sera prêt dans une bonne semaine. Nous estimons ce délai satisfaisant, car il nous faudra bien cela pour arriver à capturer les Indésirables... Les sondes, par contre, nous posent d'autres problèmes. En effet, notre vitesse actuelle est encore bien trop grande pour leur permettre de se mettre en orbite autour d'une lune ou même d'une planète du système que nous venons de pénétrer. Il nous faudra encore décélérer pendant au moins trois jours avant de pouvoir les lancer.

— Non ! interrompit sèchement l'Amiral. De combien de lunes s'agit-il ? Et combien de sondes possédons-nous ?

Le Second fit à nouveau apparaître une projection tridimensionnelle d'Alpha et de ses planètes à l'aide de son assistant virtuel. Le Chef navigateur se leva pour répondre à sa question.

— Nos télescopes ont détecté trente-deux lunes Amiral. Il y en a une vingtaine en orbite autour de...

— Ça me suffit. Et combien de sondes avons-nous ? reprit-elle en se tournant vers le Chef technicien en train de siroter le breuvage qui leur avait été servi.

Il se leva à son tour, sans prendre la peine de reposer son verre, et répondit en hésitant :

— Mais Amiral, elles ne sont pas toutes prêtes, nous pensions encore avoir quelques jours...

— Je ne vous demande pas de penser, mais d'exécuter ! l'interrompit-elle, exaspérée par son attitude désinvolte. Combien de sondes avons-nous et combien d'entre elles pouvons-nous lancer immédiatement ?

— Une centaine au total Amiral, et vingt configurées pour un lancement immédiat, répondit le Chef technicien en consultant son assistant.

— Débrouillez-vous pour en envoyer trente-deux avant ce soir ! Je veux qu'une de nos sondes se rende, dès à présent, vers chacune de ces lunes...

— Mais Amiral... elles ne feront que les frôler. Elles seront bien trop rapides pour pouvoir se mettre en orbite autour d'elles, renchérit le Second.

— Peu importe, fit l'Amiral. Les renseignements qu'elles nous enverront seront suffisants à déterminer lesquelles, de ces lunes, auront le plus de chance d'avoir été choisies par les évadés pour leur installation. Il nous faut, dès à présent, effectuer un tri... Celui-ci nous permettra, lorsque notre vitesse aura été suffisamment réduite, de lancer le reste de nos sondes vers les deux ou trois lunes susceptibles d'avoir été choisies par les Indésirables. Vous me parliez il y a peu de temps d'un grain de sable dans le désert. Je vous offre une solution qui réduit cela à une aiguille dans une botte de foin... Trouvez-moi cette aiguille !

Homo Sum 2 : l'éveil de l'humanité (Episode 2 : Révélation)Where stories live. Discover now