Chapitre 20 - Fée des portes

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La flaque d'eau sur la table s'étira devenant une torsade liquide. Elle gesticula de droite à gauche avec une grâce de danseuse orientale. Deux branches se détachèrent à mi-hauteur ressemblant à deux bras qui faisaient des rotations. Tourbillon entra en trombe dans la cuisine. Il sauta sur la table et percuta le mur d'eau brisant la création de Sophie. Cette dernière lança un regard noir à son chat qui se réfugia sous le four pour profiter de sa chaleur. Agacée, Sophie saisit son bol de café allant sur la terrasse.

Elle retrouva Meredith affalée au soleil. De la veille, la chienne tournait en rond la langue pendue. À mesure que la nuit avançait, elle montrait de plus en plus de fatigue. Sophie se baissa et caressa son flan. Elle murmura des mots doux espérant un signe. Soudain, sa main se figea. Le torse de l'animal se soulevait à peine. Son bol se renversa quand elle le posa par terre mais, elle ne s'en soucia pas. Elle retourna Meredith dont les yeux étaient clos, saisit son museau et l'obligea à ouvrir les paupières :

"Léandre ! S'écria-t-elle. Léandre !"

L'animal gémit. Malgré la taille du molosse, elle eut la sensation de porter une feuille morte qui s'effritait. Meredith était en train de partir. Sophie porta l'animal. Elle manqua de crouler sous son poids. Elle parvint à la tirer jusqu'à l'intérieur sans pourtant la hisser jusqu'aux escaliers. Elle les monta et les redescendit donc à une vitesse fulgurante. Dans le grenier, elle prit le miroir ensorcelé. La respiration de Meredith était encore plus erratique.

Sophie posa la main sur l'encolure de la chienne. Elle porta le miroir à son visage et se concentra de toutes ses forces sur la chambre de Léandre. La pièce ne lui apparut pas. À la place, elle découvrit une tour en ruine. Elle tenta de dévier la trajectoire mais, le miroir ne dériva pas. Soudainement, Sophie se sentit attirée en avant. Elle suffoqua. Une impression de déchirement la tirailla. Son corps et son âme se disloquaient. Prise de peur, elle voulut lâcher le miroir mais, son corps ne lui obéissait plus. D'un coup, Meredith reprit conscience et aboya. C'était déjà trop tard. L'âme de Sophie était engloutie dans la surface vitrée.

***

Sophie reprit conscience dans un château abandonné. Son premier regard fut pour la surface étoilée au-dessus de sa tête. Elle hissa avec difficulté sur ses jambes. Elle eut un peu le tournis. Elle porta sa main à sa tête, pour la maintenir, avant de voir qu'elle n'avait aucun corps physique. À ses pieds, le petit miroir miroitait à la lumière de la une. Elle se pencha et vit son profil transparent. Elle était devenue un fantôme. Son cœur battait dans ses tempes avant qu'elle ne réalisa que son cœur ne battait plus du tout. Elle redressa la tête. Une lune gibbeuse lui permettait d'apercevoir les silhouettes. Elle observa ensuite un grand trou dans le mur. Elle s'en approcha découvrant qu'elle flottait plus qu'elle ne marchait. Un écriteau touristique était tombé à terre :

Château d'Adélaïde de Phaslsbourg, construit en 1458

Phaslsbourg ! La région de Maya ! Elle était donc au sein de la congrégation alémanique. Avec un peu de chance, Léandre n'était pas si loin. Enfin, l'Autriche était quand même à plusieurs heures de voiture, et elle volait. Et puis, elle ne savait même pas par où aller. 

Un chemin de terre serpentait autour des vestiges et une imposante forêt qui se développait dans l'horizon. Entre les branches noires, elle distingua un halo jaunâtre. Quelque chose lui disait qu'elle devait emprunter ce chemin.

Une fois engagée, Sophie se surprit à ne pas trembler de peur. Elle entendait des cris d'animaux qu'elle ne savait pas identifier. Les branches craquaient sous le vent. Mais, elle ne cilla pas une seule fois. Sous cette forme, elle était invisible donc invulnérable. 

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now