Chapitre 2 - Rumeurs

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"On ignore ce qu'il s'est passé mais le toit a pris feu d'un coup. Le grenier s'est effondré sur un des dortoirs. Toutes les filles sont mortes sur le coup."

Lise glapit. Elle froissa sa serviette en papier dans ses doigts manucurés. Emportée par son récit, Sophie continua sur le même ton en se penchant de plus en plus :

"Ils ont rebâti le dortoir au même endroit. Mais, les combles n'ont jamais été rénovés et nous n'avions pas le droit d'y aller, naturellement. Parfois, la nuit, on entendait des pleurs et puis, des bruits de cavalcade depuis le plafond comme si des gens tentaient de s'enfuir...

-Le plafond... ça venait donc du grenier ?"

Sophie hocha sombrement la tête. Lise mit une main sur sa bouche. Ses yeux étaient exorbités. Elle regarda de bas en haut son amie, qui gardait un visage grave :

"Tu ne peux pas aller dans un endroit hanté seule !" S'exclama la blondinette.

Sophie haussa les épaules en se retenant de rire. Elle ne croyait pas en ces histoires. La seule fois où elle avait mené son enquête, elle avait découvert une grande du lycée qui avait trouvé le moyen de monter dans le grenier. Pourquoi elle l'avait fait et comment elle était parvenue à le faire sans attirer l'attention de Séraphine, qui avait le don de sortir de nul part, Sophie ne s'en était pas souciée. Elle avait résolu le mystère des bruits du plafond et c'était tout ce qui comptait à ses yeux.

Pour ce qui était des pleurs, il fallait dire que certaines jeunes filles n'avaient pas eu le choix de venir. Leurs familles les obligeaient à rejoindre cet internat glauque perdu au fin fond du Nord de la France. Mais, c'était un tabou d'en parler. La journée, elles devaient faire croire qu'elles aimaient l'internat au risque d'être mises à l'écart. Ça n'aurait pas étonné Sophie que certaines se cachaient la nuit pour pleurer leur tristesse.

Il lui fallait bien avouer que ressortir ces histoires avaient un peu ébranlées la confiance de Sophie. Quand elle était élève, il y avait très peu d'élèves. On comptait deux classes pour le collège et une seule pour le lycée. Les filles se connaissaient toutes, elles dormaient dans la même aile laissant tout le reste de l'étage vide. Concernant les professeurs, il y en avait quatre, avec Séraphine.

Elle se souvenait en particulier de mademoiselle Clarion qui était aussi professeure de piano et qui avait été élève à l'institut avant. Elle s'occupait des élèves de dix à treize ans. Partir de sa classe était toujours un déchirement pour Sophie. C'était elle qui avait retrouvé le corps de Séraphine. Depuis la fermeture de l'établissement, la vieille femme vivait seule dans le manoir. Elle recevait parfois la visite de ses anciennes élèves et toutes les semaines, mademoiselle Clarion venait la voir. Son premier réflexe avait été d'avertir Sophie qui avait dû mettre sa famille au courant.

La jeune femme regarda sa montre et soupira :

"Bon, Lise je vais devoir y aller. Je dois voir Louis.

-Louis ? Répéta Lise en arquant un sourcil. Je ne pensais pas qu'il était ton style...

-Il ne l'est pas... Approuva Sophie. Mais, il est notaire et je lui ai demandé de s'occuper de tout ça."

Lise soupira comme si l'idée de voir son amie avec Louis était insupportable. Dès leur arrivée à la capitale, Louis avait fait parti de leur cercle proche. Mais, Lise ne le supportait pas parce qu'en plus de manquer de charisme, il avait un humour un peu immature. Cependant, Sophie rigolait bien avec lui et insistait pour qu'il soit présent à chaque soirée organisée :

"Tu te souviens que tu dois t'occuper de mes chats ? Se rassura Sophie en prenant son manteau.

-Bien sûr ! Mais, je te le dis : ils ne m'aiment pas. Soupira Lise.

-Jiji n'aime personne et Tourbillon a peur de son ombre. Ce n'est pas dirigé contre toi.

-Tu vas prendre du travail ?"

Sophie se tourna vers son amie avec une moue dubitative. Elle était graphiste dans une boîte qui était en train d'exploser. C'était un poste qui lui plaisait à peu près mais où il y avait une montagne de projets dont elle devait s'occuper. Elle réfléchit en levant des yeux au plafond, un tic qu'elle prenait souvent depuis son passage à insistant :

"Je ne pense pas qu'il y ait du réseau là-bas. Séraphine n'a jamais cru bon d'installer internet et ce genre de choses.

-Mais... je pourrais t'appeler ? S'enquit Lise.

-Tous les jours ?

-Je veux juste m'assurer que tu es en vie.

-Je serais seule. Rit Sophie.

-Justement ! Tu seras seule dans un manoir hanté, tu sais combien de films commencent comme ça ?"

Sophie la dévisagea. Elle explosa de rire s'attirant encore l'attention du barista. Il finit par secouer la tête devant ces deux provinciales qui parlaient trop fort dans son établissement d'exception. Sophie lui lança un regard noir avant de reporter un regard maternel sur Lise :

"Une dernière chose, lui lança-t-elle avant de déguerpir, laisse tomber ce gars. À chaque fois qu'il se sépare de sa femme, il t'appelle pour refaire sa cuisine et vous sortez ensemble. Mais, tu n'es pas son objet."

Lise eut un sourire triste. Elle était décoratrice d'intérieur. Et si son travail était une réussite, il n'en allait pas de même avec sa vie amoureuse. Elle n'avait pas la force d'esprit de Sophie. Elle ne se suffisait pas à elle-même et préférait être dans les bras d'un homme qui ne la considérait pas plutôt que d'être seule. Alors que Sophie pouvait envoyer valser sa vie d'un revers de la main sans se soucier des conséquences.

🌑

Sophie n'avait jamais remarqué à quel point le paysage était similaire une fois sorti de Paris. Elle ne voyait que des champs et des bosquets à perte de vue ce qui renforça son impression de solitude. Elle se dit qu'elle en avait pour trois heures seule avec elle-même, puis une semaine à débarrasser les affaires d'une vieille tante. Elle aurait pu faire un détour et s'arrêter chez sa mère mais elle savait qu'elle perdrait alors toute force de se rendre à l'institut.

Les rendez-vous avec Lise, puis Louis, lui avaient fait perdre sa confiance. Son amie n'arrêtait pas de faire des recherches sur les lieux hantés et lui proposer des solutions si elle tombait sur un phénomène paranormal lui envoyant une myriade de sites qui l'aideraient. Elle était persuadée que Sophie allait droit vers Satan.

Et puis, Louis lui avait annoncé que le lieu allait être mis en vente et que les principaux investisseurs intéressés étaient des entrepreneurs qui voulaient raser le manoir. Cette idée touchait Sophie beaucoup plus qu'elle ne le pensait. Elle n'aimait pas savoir qu'une usine allait être implantée dans cet endroit qui avait été durant des siècles un havre de féminité à l'écart du monde.

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now