Chapitre 3 - Retour à l'institut

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Séraphine avait un talent particulier pour le jardinage. Le parc, qui était si vaste que Sophie n'en avait jamais fait le tour malgré ses nombreuses escapades, était parfaitement entretenu. Sa grand-tante avait presque cent ans quand elle était décédée et sa santé physique déclinait sans que son talent en fut touché. On racontait qu'elle donnait des fragments de sa vie aux plantes.

Cet attachement était étrange pour sa petite-nièce qui ne pouvait pas l'imaginer autrement que comme la grande dame sec qui se baladait à travers les couloirs à la nuit tombée. Séraphine se couchait toujours la dernière. Elle faisait un tour pour surveiller ses petites pensionnaires. Ses pas résonnaient à travers les couloirs au plafond haut. Le matin, elle était la première réveillée et elle courrait presque s'enquérir de l'état de son jardin. Une fois, Sophie l'avait surprise alors qu'elle s'était levée avant tout le monde.

🌑

Elle était encore au collège à ce moment. Elle n'était pas parvenue à dormir à cause du récital de piano qui devait avoir lieu quelques jours plus tard et qui la terrorisait au point de ne plus dormir. Après s'être fait un bol de café, elle avait décidé de le boire dans le jardin arrière. 

Elle s'était assise sur les marches en pierre. Le froid la picotait sous son pyjama mais, elle resta profitant des premières lueurs du printemps. Séraphine sortit des fourrées avec une fluidité spectrale. Elle était vêtue d'une longue chemise de nuit en dentelle blanche. Ses cheveux bruns avaient été délassés. C'était la première fois que Sophie les voyait ainsi. Ils atteignaient ses hanches étroites et étaient très volumineux. L'envie prit à la jeune fille de plonger sa tête dedans. C'était un geste qu'elle avait déjà effectué quand elle était toute petite, ignorant alors que cette vieille dame l'enfermerait par la suite dans son établissement privé.

Séraphine avait pressé le pas devant cette élève qui ne respectait pas les horaires de la cantine. Mais, en s'approchant, elle remarqua que c'était Sophie. Elles n'avaient jamais vraiment eu de moment en tête à tête depuis que cette dernière avait intégré l'institut. Sophie marquait toujours de la distance lors de leurs brefs échanges. Cependant, elle profitait aussi du traitement de faveur dont elle avait le droit.

Séraphine s'assit au bas des marches. Elle posa son regard délavé sur son jardin, les mains croisées sur ses genoux noueux. Puis, elle se tourna vers Sophie qui tentait de boire son café le plus silencieusement possible pour se faire oublier :

"Tu ressembles à Ed. Remarqua Séraphine.

-Tu me l'as déjà dit." Répliqua Sophie agacée.

Elle avait, en guise de bizutage, dû forcer la serrure des appartements de la directrice puis ramener un objet pour prouver son intrusion. Sophie avait choisi un ridicule porte-plume inutilisée. Mais, elle n'avait pas été fière de sa réussite car à côté du lit de la vieille femme, elle avait découvert une photographie en noir et blanc de son grand-père comme l'on garde le médaillon d'un amant. Séraphine vouait une adoration pour son cousin Edmond qui mettait sa petite-fille mal à l'aise :

"Tu aimes l'institut ? Insista la vieille femme. Je ne te vois pas beaucoup avec les autres jeunes filles.

-Boarf." Lâcha l'enfant.

Elle détestait les autres élèves. Les grandes étaient sous l'égide de Séraphine. Elles avaient mises en place un culte pour la vieille femme, désirant du plus profond de leur être qu'elle fût fier d'elles. Les plus jeunes, dont Sophie faisait partie, devaient les suivre docilement si elles voulaient des amies. Mais, elle refusait cette hiérarchie malgré son affiliation qui lui avait valu le titre de favorite dès le début. Ses camarades de classe se détachaient d'elle petit à petit par peur de leurs aînées.

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now