Chapitre 33 - Maîtresse de l'eau

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La colonnade se torsada devant Sophie. Elle ondula sous le rythme de la mélodie qui résonnait en elle. Ses doigts s'écartèrent. L'eau se tordit et explosa aspergeant Abélard. Le sorcier croisa les bras sans prendre la peine de s'éponger. Il fronça les sourcils :

"C'est pourtant simple. Soupira-t-il. Tous les élémentaires savent au moins modeler leur élément...

-Qu'est-ce que tu en sais ? Tu es somatiste ! Tu travailles à partir d'un élément qui a toujours fait partie de toi.

-Le corps est composé d'eau." 

Sophie pinça des lèvres. L'assistant du plus illustre des sorciers se révéla un bien plus mauvais pédagogue que Léandre. Il ne possédait ni sa patience, ni son savoir. Sophie soupira en songeant au jeune homme. Elle n'avait aucune nouvelle de lui. Elle ne savait pas comment il pouvait la contacter avec la barrière qui la cachait. Et puis, il n'en avait peut-être pas envie. Elle se félicita de ne pas s'être abandonnée à leur attirance mutuelle. Encore une fois, elle avait  été clairvoyante avant d'avoir été abandonnée.

Elle s'accroupit sur le sol. Ses ongles plongèrent dans le sol. La matière rugueuse frotta la pulpe de ses doigts. Elle ne songea qu'à l'humidité, à la fraîcheur de la terre. Ses yeux bruns devinrent translucides. Des gouttelettes se formèrent. Elles se mirent à volter autour d'elle. Alors que Sophie était en transe, la barrière vibra.

Abélard la perdit de vue une seule seconde afin de vérifier la barrière. Deux silhouettes se dessinèrent dans l'horizon. Les somatistes n'étaient pas naturellement doués pour trouver les auras magiques. Il dut s'approcher pour les discerner. Lorsque les nouveaux arrivants se dessinèrent avec plus de précision, il se tourna vers Sophie afin de l'avertir. Mais, elle était perdue dans sa magie.

Les gouttes d'eau se rassemblèrent devenant des pointes de glace. Elles foncèrent sur les nouveaux arrivants sifflant dans l'air grisâtre. Abélard se jeta à terre. Les stalagmites fusèrent chargeant droit devant eux. Leur vitesse ahurissante ne permettait qu'aux somatistes avérés de les distinguer. Joseph Bell eut tout juste le temps de stopper la pointe qui voulait atteindre la tête de Léandre. Ce dernier retint un cri quand un autre pic de glace se planta dans sa cuisse tandis qu'une seconde estampilla son bras. L'eau reprit sa forme liquide :

"Mon dieu ! S'écria Abélard en se redressant. Vous allez bien ?

-Je vois que mademoiselle a fait de nombreux progrès." Déclara le sorcier médecin en observant le dos arqué de Sophie.

En entendant une autre voix que celle de son précepteur, elle quitta sa transe et tomba en avant. Son corps était endolori. Mais, contrairement aux premières fois où elle avait pratiqué sa magie, elle parvint à se redresser. Elle mit le temps, s'appuyant sur ses mains plus que sur ses pieds engourdis. La terre avait collé jusqu'à son visage. Elle se sentit honteuse devant les trois hommes qui la dévisageaient étonnés. Son attention fut accaparée par Léandre qui ne semblait pas honteux malgré ce qu'il avait fait. Elle le pointa :

"Pourquoi il est là ?

-C'est le roi des abrutis au pays des fous. Répliqua Bell en la contournant. On ne boit pas de thé sur cette île ?"

*

Abélard mit une bouilloire en fer à chauffer sur le feu de l'âtre. Bell rudoyait les braises en maugréant sur l'humidité qui s'infiltrait par les poutres. Il s'emmitoufla dans son imperméable malgré l'atmosphère étouffante du foyer. Ils s'étaient installés autour d'une petite table en bois sur des banquettes en paille qui faisaient mal à leurs derrières.

Sophie avait tenu à être à l'opposé de Léandre ne lui autorisant ni une parole, ni un regard malgré ses airs de chien battu. Bell plissa la bouche en observant le coin de son manteau. Un peu de sang l'avait tâché :

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now