Chapitre 34 - Fée de l'eau

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"Elle a disparu !" S'écria Abélard en entrant en trombe dans la maisonnette qui servait de laboratoire à Bell.

Le docteur se tourna lentement. Il tenait entre ses mains une onction à l'odeur vaseuse. Un de ses sourcils broussailleux se leva. Il haussa les épaules :

"Elle n'est pas allée bien loin. Personne ne peut passer la barrière d'Ys si elle a été scellée à l'intérieure. Et c'est son cas, n'est-ce-pas ?"

Abélard gesticula un pied sur l'autre. Bell manqua de lâcher son bol. Dès que Abélard outrepassait ses fonctions d'assistant de Flamel, il perdait toute assurance et oubliait jusqu'aux ordres les plus simples et évidents. C'était pour cette raison précise que Bell avait refusé de le laisser seule avec Sophie. Le vieux docteur sentit la colère monter en lui. Ses mains tremblèrent. Il posa la préparation afin de ne pas briser le bol :

"Va chercher Ross. Il sait peut-être quelque chose."

Léandre arriva vêtu de son jogging, torse nu, des gouttes de sueurs roulaient le long de ses boucles brunes. Il s'arrêta en se tenant les côtes pour reprendre son souffle. Abélard courut à lui suivi de Bell :

"Sophie n'est plus sur l'île."

Léandre se redressa d'un coup et les détailla s'attendant à une blague ou un test. Mais, l'agacement de Bell était trop visible pour que ce soit un mensonge. Le jeune homme ferma les yeux. Il tenta de surplomber la barrière magique qui entourait l'île pour discerner l'aura de Sophie. Il trouva celle qui ressemblait au camphre de Bell et celle de violette très légère, presque imperceptible d'Abélard. Mais, rien de l'acier tranchant qui représentait Sophie. Il secoua la tête :

"Je pourrais essayer de la repérer mais la barrière m'empêche d'aller plus loin et..."

Bell soupira bruyamment le coupant dans sa phrase. Le vieux médecin réfléchit un long moment. Son regard passa sur l'île abandonnée. Malgré la barrière, Léandre aurait dû la voir si elle avait été présente. Il se pinça l'arête du nez regrettant déjà ses paroles :

"En tant que premier sorcier de la couronne anglaise, je lève temporairement votre sanction, Léandre Ross et vous permets d'utiliser votre magie."

Léandre sentit immédiatement son corps devenir léger. Seuls les plus grands membres de la Congrégation d'Angleterre avaient le pouvoir de lever son expiation. Leurs mots prenaient tout de suite substance. Sa magie circula librement en lui. Il eut la sensation qu'il pouvait faire une seconde course tant la puissance émanait de chaque pore de sa peau. Cette sensation l'enivra :

"Peut-être... hasarda-t-il, dois-je pratiquer depuis le quai ?"

Bell le regard en coin. Le quai d'Ys était l'unique endroit qui n'était pas sous l'égide de la barrière. Une fois dessus, Léandre pouvait utiliser sa magie sans aucun obstacle et déployer toute sa puissance. Le docteur murmura :

"Elle n'est plus sur l'île ?

-Je suis le seul lucide ici et même sans les liens qui me retiennent, je ne l'aperçois pas. Elle doit déjà être sur le continent.

-Cair l'aurait conduite ? Intervint Abélard. Il savait pourtant qu'elle n'avait pas le droit de sortir d'Ys.

-Cair n'appartient à personne et à aucune loi. Lança Bell en observant l'horizon. J'ignore s'il est le plus vieux des sorciers mais toujours est-il qu'il ne peut plus être considéré comme tel depuis bien longtemps. Certains pensent que c'est l'esprit d'un wiccan qui vogue sur la mer bretonne... Si Sophie veut sortir, il la conduira d'autant plus qu'ils sont deux sorciers de l'eau et que nous connaissais le chauvinisme des élémentaires.

-Alors, allons aussi sur le continent. Décida Abélard. Léandre, vous devez agir. Non seulement vos dons sont bien plus adaptés à la situation mais votre... relation peut également vous aider à la comprendre et...

-J'ai compris." Lança Léandre en prenant le chemin du quai.

*

Bizarrement, Sophie voulait s'éloigner de la mer. Elle sentait sa force attractive bien trop ancrée en elle comme une sirène qui entrainerait un marin. Elle laissa les feuilles mortes coller à ses pieds nus sans se soucier des épines qui s'enfonçaient dans sa peau. En fait, son esprit avait été reléguée au fin fond de son corps. Elle n'était qu'une coquille vide mue par sa magie. Et, cette dernière voulait rejoindre une source d'une puissance inestimée. Elle avait besoin de s'abreuver de magie.

Elle quitta bientôt la vie et les villages. Plus aucune habitation, même en ruine, n'était en vue. Il n'y avait plus que le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux pour la guider. Elle laissa la fraîcheur de la matinée l'accueillir. Le vent soulevait sa chemise de nuit. Elle écarta la main pour sentir l'air entre ses doigts. Elle arriva enfin au centre de la forêt.

Un bassin était creusé dans le sol. Il était fait en très vieilles pierres vermoulues. À sa venue, les mauvaises herbes sauvages rampèrent et redonnèrent à la roche sa brillance grise. Un fond d'eau claire remplit lentement le bassin. Sophie s'arrêta un instant. Elle attendit le regard vissé sur la surface plane avant de lever un pied pour plonger dedans :

"Je ne ferai pas ça, à votre place." Résonna une voix.

Sophie s'arrêta comme une automate. Le pied toujours levé, son corps se tourna vers la personne qui l'avait arrêté. C'était une femme à la taille fine. Sa peau translucide reflétait les lumières verdoyantes de la forêt. Ses longs cheveux blonds étaient retenus par un lien. Sa robe, d'une simplicité brillante, tombait jusqu'à ses pieds. Elle sourit doucement à la jeune femme :

"Vous devez vous dévêtir avant." Indiqua-t-elle.

Sophie ne se démonta pas. Elle n'était plus tout à fait elle-même. Sans aucune pudeur, elle rejeta son sous-vêtement et sa robe sur le sol. Puis, elle se posta devant le bassin rempli à ras-bord. La femme se positionna derrière elle. Sa bouche chatouilla l'oreille de Sophie. Elle s'adressa à la jeune femme et non pas à sa magie :

"Vous avez eu raison de répondre à mon appel. Vous avez besoin de ce bain. Tout ceux qui se sont inscrits dans la légende en ont eu droit. Cependant, une fois que vous aurez mis un pied dedans, vous ne serez plus la même. Vous ne pourrez pas ignorer qui vous êtes."

Sophie, la vraie Sophie, frémit faisant sourire la femme. Cette dernière posa ses doigts glacées sur ses épaules. Elle la poussa légèrement en avant.  Alors que des vapeurs bouillonnantes apparurent à la surface de la fontaine, Sophie plongea dans un bain glacée. Sa peau rougie la supplia d'en sortir. Redevenue elle-même, elle se hissa sur les rebords du bassin. La panique s'empara de sa raison alors que des pellicules de peau se dissocièrent de son corps. Sa chaire à vif la fit sangloter de douleur.

Elle avait presque extirpé son buste quand la femme la saisit par les épaules. Avec une force herculéenne, elle la replongea dans le bassin jusqu'à la racine de ses cheveux. L'eau s'engouffra en elle. Elle prit conscience que ce liquide n'avait rien à voir avec. Celui-là était impalpable et pourtant d'une lourdeur de plomb. Il s'infiltra dans ses poumons pour les arracher à leur cage thoracique. Ses ongles glissèrent de ses doigts. Elle perdit chaque poil de son corps jusqu'à ses cheveux. Puis, elle sombra dans les noirceurs abyssales.

Elle ignora combien de temps elle était restée au fond de la fontaine. Mais, elle en sortit tremblotante. Elle toussa pour cracher de l'eau qui n'encombrait pas ses poumons. Ses mains tâtèrent la terre meuble. Des larmes se formèrent aux coins de ses yeux alors qu'elle prit conscience du mince filet d'air qui ressortait par son nez lui annonçant qu'elle était en vie. Elle redressa la tête découvrant Léandre qui la dévisageait avec anxiété.

*

Bonjour ! Chapitre très court aujourd'hui ! A votre avis, qui est cette au bord du bassin ? Qu'est-ce qui est arrivé à Sophie ? En la relisant, je me suis rendue compte que cette scène avait été inspirée par une autre dans la bande dessinée Lancelot de Istin, Peru et Alexe ! Vous connaissez ?

Bises ! Silver


Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now