Chapitre 23 - Une seule âme

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Léandre retournait entre ses doigts les trois éléments qui composaient le sort. Ils les avaient déposé sur une table en hêtre surmonté d'une nappe en lin épais. Personne ne les manipulait à mains nues au risque d'en dégager une magie trop sombre et trop puissante. À leurs côtés, le miroir de poche était aussi calme que la surface d'un lac :

"Tu as fait une grave erreur." Nota Léandre.

Sophie roula des yeux vers le ciel. Depuis qu'il avait rejoint son corps, il lui assénait tout un tas de reproches. Comment avait-elle pu faire autrement ? Elle était novice et seule. Elle avait agi selon son instinct et pas avec un manuel du parfait petite sorcier sous le bras. D'autant plus que les grimoires se révélaient peu utiles en réalité. Ils renfermaient le savoir, pas la pratique. Léandre pointa la rune sur le plan du manoir :

"Ceci est Othalan. À l'endroit, cette rune désigne la famille, la richesse. Mais, à l'envers comme maintenant, c'est un porte-malheur. Encore heureux que tu es élémentariste. Cette partie de ta magie t'a protégée. Deux lucides n'auraient pas survécu.

-Pourquoi la barrière n'a agi que maintenant ?

-Le sort a été placé au centre du manoir pour s'étendre partout. Mais, nous sommes, heureusement, restés un peu à l'écart durant notre séjour. Quant à savoir pour moi j'ai été touché, la décision d'entraver ma magie m'a rendu faible."

Il grimaça en passant la main dans ses boucles brunes. S'il n'avait pas été dissocié de son corps, il aurait sombré dans la folie à cause de cette malédiction. Sophie voulut saisir l'aegirine mais, il saisit son poignet pour l'empêcher :

"Prends des précautions ! Tu es une enfant ou quoi ?

-Oh ta gueule !" Hurla-t-elle.

Léandre ouvrit grands les yeux . Elle était fulminante lâchant avec brutalité sa main. Son corps tremblait de rage. L'eau dans la bouilloire se mit à frémir. Elle se redressa petit à petit. Il eut peur d'être ébouillanté :

"Ça fait à peine un mois, Léandre ! Un mois que mon monde est bouleversé ! Je me retrouve à être une espèce de sorcière ! Je dois vivre cachée parce que mon arrière-grand-père veut faire de moi une coquille vide dans le but d'être immortel ! L'unique personne qui m'aide, sans avoir, peur manque de mourir et quand je le sauve, il m'engueule comme une enfant ! C'est TOUT ce que j'ai vécu depuis un mois !"

Les larmes affluaient aux coins de ses yeux. Elle mettait enfin des mots sur son mal-être. Elle se rendit compte en le formulant de tout ce qu'elle avait vécu. Sa vie avait fait un saut si intense qu'elle ne pourra jamais revenir en arrière. Alors qu'elle allait se laisser tomber sur sa chaise, Léandre se releva et la prit dans ses bras. Il caressa doucement ses cheveux. Ce contact eut raison de ses dernières barrières émotionnelles. La bienveillance, l'empathie et la douceur, qu'il lui transmit, affluèrent en elle comme un torrent d'eau tiède. Sophie s'effondra en sanglots. Elle agrippa son tee-shirt en s'abandonnant à sa tristesse :

"Désolé, murmura Léandre, je ne m'étais pas rendu compte de tout ça... Je vis dans ce stress depuis si longtemps que j'oublie qu'il n'est pas normal.

-Qu'est-ce qu'il va se passer ? On a enlevé le sort de protection et tu dois être recherché.

-On va fuir. Annonça Léandre. Je connais un endroit où on pourra rester cacher le temps de finir ta formation."

Sophie se leva. Les larmes perlaient toujours à ses yeux. Léandre saisit son visage en coupe. Il plongea ses yeux dans ceux de biche de la jeune femme. Sans comprendre ce qu'il se passa, il se pencha écrasant ses lèvres sur les siennes. Sophie agrippa ses biceps laissant leurs lèvres se découvrir. Elle ressentit un feu d'artifice qui grandit dans son ventre s'accrochant encore plus fort. Léandre logea ses mains sous ses fesses. Il la souleva comme si elle était un papillon pour la poser sur la table de la cuisine. Leurs corps se fondirent, leurs vêtements en trop. Mais, ils ne cessèrent de s'embrasser sans jamais passer le cap. Sophie se détacha de lui et le dévisagea ancrant leurs yeux :

"Qu'est-ce que c'était ? Bafouilla-t-elle le souffle court.

-Je ne sais pas. Mais, j'ai très envie de recommencer."

Avant qu'elle ne put répliquer, il glissa de nouveau ses lèvres sur les siennes. C'était la première fois qu'ils embrassaient un lucide. Leurs pouvoirs leur permirent de fondre leurs âmes et leurs magies rendant ce contact encore plus intense que s'il n'avait été que charnel. Leurs esprits se mêlèrent ne formant qu'un. Une chaleur diffuse émergea d'eux si puissante que leurs peaux devinrent intouchable. Brûlée sur la pulpe de ses doigts, Sophie s'écarta brusquement. Elle observa ses paumes où des cloques se formaient. Léandre posa son regard sur son avant-bras qui l'avait encadrée et qui était aussi brûlé :

"C'est de la magie à l'état pur. Devina-t-il. C'est incroyable.

-Je ne vois pas en quoi ça l'est. Répliqua Sophie. J'ai si mal...

-Mais, on devrait être déjà réduit en cendre. C'est impossible pour un wiccan de toucher la magie pure d'un autre wiccan... J'ignorais que les lucides en étaient capables...

-Léandre... Répliqua Sophie en plissant des yeux. Je ne pense pas que ce soit le moment... Tu ne connaîtrais pas un onguent ou bien...

-Utilise la magie de l'eau ! L'une de ses principales fonctions est curative !"

Sophie secoua la tête. Le sourire sur le visage de Léandre s'effondra. Elle sauta sur ses jambes en frottant ses mains. Une grimace de douleur se forma sur son visage. Léandre la jaugea de bas en haut :

"Tu... comptes me laisser comme ça ? Interrogea-t-il en présentant ses avant-bras.

-Je suis fatiguée, Léandre. J'ai utilisé non-stop ma magie depuis que je suis venue te chercher. J'ai besoin de me reposer.

-Je comprend.

-Bien. Je serai dans la salle d'eau des professeures."

***

Sophie glissa à peine un pied dans l'eau que le liquide grimpa sur elle. Enlacée comme dans un voile, elle se glissa dans le bassin et fit quelques mouvements. Ses paumes atteignirent à peine la surface de l'eau qu'elles cicatrisèrent immédiatement. Une vapeur cautérisante s'éleva plongeant la pièce dans la brume. Elle se cala contre le rebord en gémissant de soulagement. Sophie avait toujours aimé l'eau mais depuis la révélation de sa nature, cet élément s'était révélé indispensable.

Elle ferma les yeux se laissant bercer par le chant oriental qui revint instantanément. Cette fois, elle ne le chassa pas. Elle savait très bien d'où il venait, quelle partie d'elle était appelée. Elle l'avait toujours repoussée mais elle ne pouvait plus ignorer qui elle était. Elle plongea s'immergeant dans l'eau. Le chant se fit encore plus fort et mélodieux alors que son corps s'alourdit et tomba au fond du bassin.

D'un coup, elle fut sortie. L'air ne lui avait pas manqué mais, elle prit une profonde inspiration. La brutalité de la surprise la fit toussoter. Elle dévisagea Léandre, trempé qui la tenait par les épaules. Elle le foudroya du regard alors que lui-même était transi d'inquiétude :

"Ça fait une heure que tu étais sous l'eau !" S'écria-t-il en la dévisageant.

Prenant conscience de sa nudité, Sophie replongea jusqu'aux épaules. Elle se recula un peu. Ses jambes longilignes battaient comme les palmes d'une sirène envoûtant Léandre dans une danse hypnotique. Elle finit par hausser les épaules avec un sourire en coin :

"Je ne crois plus être en mesure de me noyer." Expliqua-t-elle.

Léandre hocha doucement la tête sans détacher son regard. Il y avait autre chose. Une puissance mystique et archaïque se détachait de Sophie. Qui était-elle à la fin ?

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now