Chapitre 21 - Vers dévoreur

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J'étais en joie quand j'ai deviné que ma nature était celle des lucides même si je n'en doutais pas. Ma mère est une voyante assez bonne et mon père est télépathe, conseiller pour les députés autrichiens. Je savais donc que je les suivrai. Je suis allé à l'Institut de Londres. Ma mère avait comme ambition de faire de moi un sorcier gentleman. C'était sans compter sur mes camarades. Je n'étais pas bâti pareil à l'époque. J'étais gros, presque obèse, je m'essoufflais vide, j'étais timide, dans mon coin. Comme tu le sais, les somatistes existent en très grand nombre. Il y avait une bande en particulier qui ne perdait jamais une occasion de me tomber dessus. Au début, ils me traitaient juste de gros tas, et se moquaient de "mon accent de nazi". Je ne disais rien. Lorsque ma nature s'est révélée, les choses sont devenues pire.

Je t'ai dit que la démographie magique changeait selon l'époque. Mais, il y a une chose qui est certaine : les Lucides sont les chouchous des dirigeants. Tout comme tu étais la seule à l'institut de la côte d'Opale, j'étais le seul à celui de Londres. Ainsi, j'ai eu le droit à la visite du premier ministre qui m'a fait comprendre que je pourrai espérer intégrer la garde rapprochée de la reine d'Angleterre. En tant qu'Autrichien, je m'en fichais bien. Je ne voulais qu'une chose : rentrer chez moi. Sauf que cette visite surprise s'est su au sein de l'institut. Tu sais comment fonctionnent les écoles, les professeurs se passent le mot, puis les élèves et finalement tout le monde est au courant. À partir de ce moment, plus rien n'a été pareil.

On ne me parlait plus que pour m'insulter. On me frappait, me poursuivait. On m'enfermait des nuits et des jours dans des salles de classe abandonnées aux fantômes qui venaient me tourmenter. On me violentait. On menaçait ma famille. Quand je rentrai chez moi, on m'envoyait des lettres piégées. Et puis, un jour mes parents sont venus pour le récital de fin d'année. Tu n'es pas la seule à jouer du piano, sauf que moi, j'ai complètement cessé depuis ce jour.

Ça commençait par une simple insulte qui a fusé à travers la salle remplie : "Sale gros". Je n'ai pas écouté. Je me suis assis et j'ai joué. Une seconde insulte a éclaté, cette fois suivie d'un rire. Puis, ils ont commencé à m'injurier de toutes parts. Il y avait ceux qui étaient dans les coulisses, des spectateurs, même certains agglutinés à la porte comme des porcs dans une porcherie. Et puis, ils se sont mis à me lancer des objets. Des chapeaux hauts-de-forme, des chaussures. Mon père a fini par se lever pour s'interposer. Il a reçu une chaise en plein visage. C'est à partir de ce moment que tout à déraper.

Au sein même d'une même famille de nature magique, il y a des dissensions. Les Lucides cachent parmi les leurs un groupe d'individus dont ils réfutent l'appartenance. On les appelle les vers dévoreurs. Ils sont haïs, rejetés, considérés comme des sorciers démons.

Je suis un vers dévoreur. 

Je me suis introduit dans la tête de chacune des personnes présentes qui m'avaient fait du mal. Malgré la rage, j'ai réussi à les dissocier des autres spectateurs. J'ai séparé leur ligne de vie de leur corps. Je les ai tués. Mes vingt camarades de classe présents ont tous perdu la vie en quelques secondes. Je ne me souviens pas de la suite. Cet effort m'a coûté beaucoup de force et je me suis effondré de fatigue. 

Quand je me suis réveillé, j'étais chez moi en Autriche. J'ai cru que j'avais juste fait un mauvais rêve. Mais, j'étais dépossédé de ma magie, enfermé par la Congrégation Alémanique. Ils se sont battus pour ne pas me donner à la Congrégation des Saxons qui voulaient m'exécuter. La Grande Congrégation a dû intervenir. Ils ont obtenu mon pardon en échange de l'interdiction à tout jamais que je pratique la magie. Notre grand prêtre m'a autorisé une seule incartade : Meredith. Ma mère voulait que j'ai un familier pour me protéger parce que je recevais des menaces de mort tous les jours.

La suite, tu la connais à peu près. Ils m'ont mis dans un pensionnat pour humain à Neufchâtel où j'ai fait du français ma seconde langue et oublié l'anglais. Je continuais d'étudier la magie sans jamais la pratiquer. Depuis cette histoire, je suis haïs comme le sont les gens de mon espèce. Ici, au sein de ma congrégation, les gens ont la décence de ne pas me cracher au visage mais, ils n'en pensent pas moins. Ceux que tu as vu dans la forêt, ils préparent un grand banquet en l'honneur de ma séparation. Je suis la honte de la Congrégation Alémanique et ils ont hâte de me voir disparaître.

Des larmes de rage coulèrent sur les joues de Sophie. En cet instant, elle en voulait à la terre entière. Léandre aurait dû être protégé. Ce n'était qu'un enfant. Il s'était tenu fièrement et avait subi les pires violences au sein de son institut. La faute était ceux qui l'ont laissé vivre un enfer durant plusieurs années sans jamais se soucier de son bien-être. Il était la première victime de son histoire. Ses détracteurs avaient fini par obtenir ce qu'ils désiraient : Léandre ne deviendra jamais un sorcier.

De son pouce, il essuya les larmes sur les joues de la jeune femme. L'ombre d'un sourire se dessina sur le visage du jeune homme :

"Je n'ai pas à utiliser la magie pour savoir ce que tu penses."

Sophie se dégagea lentement pour le regarder dans les yeux. Comment pouvait-il sourire après ce qu'il venait de dire ? Sans réfléchir, elle se rapprocha et cala sa tête contre le torse imposant du jeune homme. Léandre encadra son corps de ses bras et nicha sa tête dans ses cheveux. Ils restèrent un moment dans cette position. Jusqu'à ce que la lune se dessina dans la lucarne. Sophie redressa alors la tête :

"Partons. Tu seras en sécurité à l'Institut.

-Je t'ai dit que je suis enfermé.

-Mais, on  a toujours ça."

Elle désigna le miroir dans sa main. Léandre fit la grimace en observant le tapis jonché de régurgitation. Mais, il n'avait pas vraiment le choix. Il lui fallait partir s'il voulait survivre. Même si, la perspective de sortir par ce minuscule miroir l'effrayait. Il n'osa pas le dire à Sophie mais il y avait un risque énorme que leurs corps et leurs âmes furent complétement dissociés et qu'ils finissent par disparaître. Elle n'avait absolument pas conscience du danger :

"Tu devras me guider. Déclara-t-il. Je ne sens aucune connexion."

Elle hocha la tête. Ne sachant comment s'y prendre, elle prit la main de Léandre ressentant des picotements dans sa peau. Son regard se vissa sur la surface laiteuse du miroir. Elle parvint à visualiser l'institut. Meredith affalée sur le sol en pierre, Jiji et Tourbillon roulés en boule contre elle pour lui porter chaud. Elle ferma les yeux inspirant profondément. Sa peau se fondit dans celle de Léandre. Une chaleur brûlante s'empara de leurs corps. Elle se sentit encore emportée par le miroir. Un hurlement de déchirement résonna en elle. Elle voulut se tourner vers Léandre mais la magie du miroir l'emporta. Elle sentit son souffle s'amoindrir, son corps se disloquer. Sa tête heurta un sol en pierre, dur.

*

Bonjour / Bonsoir ! J'essaye de prendre un rythme régulier mais c'est pas facile ! J'aime particulièrement ce chapitre. Léandre est un personnage plus complexe que ce qu'on dirait (en tout cas, c'est ce que j'ai essayé de faire : le physique d'un colosse avec pleins de fêlures.) Si vous pensez le connaître, attendez la suite !

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now