Chapitre 35 - Le tombeau

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Le corps de Léandre n'était que douleur. La magie à l'état pure de Sophie détachait sa peau par lambeaux. Mais, il parvenait à la porter malgré sa chaire qui saignait. La fée du bassin les conduisit jusqu'à un mégalithe, entouré par un cercle de pierre. Elle s'approcha. Des colonnades de lumières jaillirent. Impressionné, Léandre tenta de percevoir la fin mais, elles allaient jusqu'au ciel formant un maelstrom entre les nuages. Malgré cette imposante barrière, presque aussi puissante que celle d'Ys pour un si petit lieu, la fée tendit la main formant un petit passage :

"Approchez. Ordonna-t-elle.

-Qu'est-ce que c'est ? Demanda avant Léandre.

-Le tombeau de mon frère : Merlin.

-Mais..."

La fée soupira en tournant la tête de trois-quarts :

"Je ne suis qu'une élémentaire de l'eau. Mais, mon frère était un naturaliste et un somatiste. Sa magie vous restaurera.

-Mais... il est mort. Remarqua Léandre. Depuis des siècles.

-Oui. Merlin n'a pas eu notre chance. Cependant, il était si puissant que sa magie continue de nourrir cet endroit. Comment, croyez-vous, que les forêts de Paimpont et Brocéliande coexistent tout en étant aussi puissantes ?"

Peu convaincu, Léandre prit cependant une profonde inspiration. S'il voulait sauver Sophie, il n'avait pas d'autre choix. Sa magie était en train de prendre le pas sur son corps douloureux. Il replaça ses mains autour du corps d'elle avant de pénétrer dans le cercle de pierre. Immédiatement, il ne ressentit plus aucune douleur. Sa peau se régénéra. Le souffle de Sophie se calma aussi. Il s'approcha du tombeau sentant ses muscles se renouveler et même l'intérieur de ses os. Il sentait une magie extérieure à lui s'engouffrer avec douceur en lui. Il déposa Sophie sur la pierre froide.

Soudainement, du lierre grimpa sur le tombeau ensevelissant la jeune femme. Léandre savait qu'il ne lui voulait que du bien mais la voir ainsi enterrée lui provoqua une bouffée d'angoisse. Il garda sa main sur celle de la jeune femme refusant de la laisser. Mais, des branches, à peine plus épaisse, d'un cure-dent se faufilèrent entre eux. Lui avait déjà été soigné, c'était à son tour. Léandre attendit docilement à côté sans la lâcher du regard.

Du corps de Sophie ressortit une buée rougeâtre. L'odeur métallique piqua aux yeux de Léandre. La fumée s'amoncela au-dessus d'eux. On aurait dit que c'était un puits sans fond tant elle s'extirpait toujours plus épaisse. Il y en avait tellement que l'émanation devint noire. Un cri d'outre-tombe résonna soudainement obligeant Léandre à se bouger les oreilles. Il se retrouva même à terre ne pouvant le supporter. La fumée disparut suivie par un éclair. Les colonnades de lumière s'éteignirent à leur tour. La douleur dans la tête de Léandre disparut immédiatement. Il se redressa en s'appuyant sur la pierre. Sophie ne présentait plus aucune trace de souffrance. Il se tourna vers la fée qui était livide. Ses lèvres bougeaient sans parler. Elle finit par annoncer :

"Elle a été en contact avec Hubert Villers."

Léandre pencha la tête ne comprenant pas ces paroles. Il secoua la tête en les réfutant une fois qu'elles eurent comblé ses idées :

"Non, je... je ne suis pas tout le temps resté avec elle. Mais, je l'aurais su si elle l'avait rencontré.

-Peut-être qu'elle-même ne le sait pas. Y a-t-il une personne que vous pouvez soupçonner ?"

Les pensées du jeune homme fusèrent. Il ignorait quels sorciers Sophie avait croisés. Mais, même si Hubert Villers était talentueux, ils auraient perçu la faille dans son aura. Il ne voyait qu'une personne qui pouvait correspondre à cette description :

"Elle a passé une journée  chez son ancienne professeure de piano. C'est une vieille sorcière qui vit isolée.

-Une victime idéale pour la possession. Conclut Viviane. Emportez-la à Ys. Elle doit se reposer maintenant afin de récupérer de sa magie purifiée.

-Comment saviez-vous qu'elle était là-bas ?"

Un sourire serpentin dansa sur les lèvres de la fée. Léandre lut la réponse dans ses yeux liquides. C'était elle qui avait fait amener Sophie. Elle avait ressenti la magie corrompue d'une autre élémentaire. Elle avait fait appelé Cair pour l'emporter dans son bateau puis, elle l'avait guidé à travers Brocéliande afin de la purifier. Elle indiqua le chemin au jeune homme tout en disparaissant comme une ombre.

*

Jamais Bell n'aurait espéré avoir une telle vision. Il avait beau être un sorcier reconnu des siens et des humains, il n'avait pas été touché par des dons naturels et encore moins aidés par d'illustres sorciers. Il ne pouvait compter que sur son travail. Lorsque la fée se présenta à lui, il reconnut tout de suite en elle la célèbre Viviane des légendes arthuriennes. Il l'admira sans détour le regard de son corps qui semblait liquide et de son visage glacial. Elle ne lui laissa cependant pas le temps de la détailler :

"Joseph Bell, le héla-t-elle de sa voix vibrante, tu dois tout de suite te rendre auprès de la congrégation de la Côte d'Opale. Il y a là-bas une femme qui est peut-être le nouveau réceptacle d'Hubert Villers. Seule ta vue peut permettre de le voir.

-Mais... la fille ?" Balbutia-t-il.

Son cœur de wiccan était touché dans son âme d'enfant de voir la fée Viviane lui confier une quête. Il n'oubliait pas son rôle auprès de ses contemporains mais, il brulait d'accomplir la tâche qu'elle venait de lui administrer. La fée eut un sourire en coin :

"Elle est assez bien protégée avec deux chiens de garde. De plus, elle est assez puissante pour se protéger d'elle-même. Pars tranquille et reviens vite."

Il hocha la tête. D'un coup, Abélard, qui n'avait pas vu la conversation, disparut. Bell n'était plus entouré d'obscurité et de cris monstrueux. Il se situait au Nord de Paimpont à l'orée de la forêt. Ici, la végétation était plus dorée que verte et des randonneurs profitaient des dernières lueurs du soleil. Mais, ce n'était pas le moment pour le vieux sorcier de s'en soucier. À grands pas, il se dirigea vers le Nord.

*

Abélard se tenait la tête dans les mains. Cette forêt, malgré son cadre attrayant, allait le rendre fou. Il ne comprenait pas comment ses camarades faisaient pour disparaître les uns après les autres sans qu'il ne le remarquât. D'abord Léandre emporté par un instinct animal puis Bell disparu comme une âme errante. Il hésitait entre s'enfuir et les attendre à l'orée ou s'enfoncer encore plus profondément. Il pouvait aussi tenter de trouver un sorcier de la congrégation de Bretagne. Mais, y en avait-il seulement un en Brocéliande ? Pénétrer cette forêt était un acte des plus sacrilèges pour eux  et il n'était pas certain qu'ils accueilleraient Abélard avec de grands sourires. Alors que les idées fusaient, il entendit les feuilles crisser derrière lui. Il fit volte face prêt à engager le combat. Ses épaules s'affaissèrent quand il découvrit Léandre portant Sophie évanouie :

"Elle va bien. Rassura-t-il. Viviane... la fée."

Abélard ouvrit une bouche ronde. Merlin, Morgane, Viviane étaient une légende même pour les wiccans. Ils avaient été si puissants et illustres que personne n'était certain de leur existence. Enfin, Abélard avait entendu parler d'un cousin éloigné, Ernest de Broglie, qui vivrait reclus à Avalon auprès de la fée Morgane. Mais, personne n'avait eu de ses nouvelles depuis son départ. Désabusé, l'assistant de Nicolas Flamel Il désigna la sortie de la forêt à Léandre qui s'arrêta un instant pour observer les alentours :

"Et Lord Bell ?

-Joseph a disparu soudainement. Je n'en sais pas plus mais, il saura trouver le chemin d'Ys."

Léandre hocha la tête. Il n'y avait rien à craindre de Brocéliande. Cette forêt vivante n'était pas mauvaise. Si vraiment elle n'avait pas voulu de Bell, elle l'aurait rejeté bien avant qu'ils s'y enfoncèrent.



Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now