Chapitre 45 - Vérités

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Les mots de l'entrepreneur entraient et sortaient immédiatement de la tête de Sophie. Elle se fichait du carrelage style Art Nouveau, des chambres rénovées, des lits en bois. Elle n'allait plus jamais revenir dans ce vieux bâtiment. Elle était juste présente pour signer la paperasse et remettre officiellement les clefs à Mme Clarion. Cette dernière s'extasiait sur chaque changement. De riches familles wiccanes avaient investi à l'annonce de la réouverture de l'institut en échange d'une inscription immédiate de leurs filles. L'entrepreneur se tourna vers Sophie :

"Qu'en pensez-vous, madame la directrice ?

-Je serai la directrice. Rectifia Mme Clarion avec un sourire. Sophie est... l'héritière de ce lieu."

Impressionné, il hocha la tête en la jaugeant de bas en haut. Se sentant comme un contrat ambulant, Sophie s'emmitoufla sans un sourire dans son gilet oversize. L'homme reprit :

"Les travaux finiront à la mi-Août. Et, il y aura une pause en fin de semaine, c'est bien cela ?

-Oui, nous serons toutes les deux en déplacement."

L'homme les regarda à tour de rôle. Il ne voyait pas comment deux femmes qui manquaient autant de charisme pourraient s'occuper d'un tel lieu. Mais, l'argent était là alors il ne fit aucun commentaire. Lorsqu'il sortit de la pièce, il ne vit pas la flaque d'eau se former sous ses pieds qui le fit déraper :

"Sophie !" S'indigna la nouvelle directrice en pouffant de rire.

La concernée haussa les épaules en prenant le chemin de la cuisine où elle leur fit un thé. Elle n'avait peut-être plus ses dons de Lucide, mais elle savait toujours reconnaître un regard dédaigneux. Lucille s'assit à la table en soupirant. Elle observa le liquide ambré et chaud dans sa tasse :

"Que vas-tu faire maintenant ?

-Je préfère aller dans le cabanon... Répondit Sophie.

-Je ne parlais pas du temps immédiatement mais de l'avenir. Ta quête est finie mais tu viens tout juste d'entrer dans le monde wiccan."

Sophie soupira. Elle posa la tête sur sa main en faisant la moue. Lucille l'observa avec un sourire complice :

"Tu n'es plus Lucide, mais la magie de l'eau rescelle beaucoup de mystères. Elle est très utile et...

-Je me demandais si vous avez prévu une professeure d'arts plastiques." La coupa Sophie.

Lucille haussa les sourcils jusqu'à la racine de ses cheveux. Elle secoua doucement la tête :

"Je n'ai pas encore constituer l'équipe éducative. Mais, les professeures de l'institut se doivent d'être des sorcières et non des wiccanes.

-Vous ne pouvez pas faire un effort ?"

La professeure secoua la tête avec un air résolu. Elle croisa les bras observant la jeune femme en face d'elle, détruite et esseulée :

"Nous reparlerons de tout cela après l'enterrement de Maya."

Sophie prit une profonde inspiration. Hubert Villers l'avait possédée dans l'unique but de l'approcher. Celle qu'elle avait pensée être son ancienne camarade de classe était son arrière-grand-père qui voulait sa mort. Quand bien même, elle regrettait cette amitié brève. Elle avait eu la sensation d'avoir trouvé sa place à ses côtés :

"Les Ross voudraient prévenir les anciennes amies de Maya.

-C'est légitime. Seulement, je ne sais pas où elles sont et sans Lucide, on ne pourra pas le faire à tant.

-Alors, c'est fini."

Lucille arqua un sourcil avec un regard sévère :

"Tu vas aller dès demain rejoindre la Congrégation Alémanique et utiliser leurs dons pour les contacter. Il y a encore des Lucides de sang-pur dans cette congrégation, que je sache."

La tête de Sophie sembla vibrer tant elle la secoua vite. Elle voyait parfaitement où la nouvelle directrice voulait en venir. Il était hors de question qu'elle se rendit seule là-bas. Elle ne voulait pas affronter cette famille qu'elle avait plongée dans la détresse. Et puis, elle ne voulait pas se retrouver Léandre. Mais, Lucille se leva clôturant le débat.

***

En face de l'étang, Sophie observa la surface plane de l'eau. Elle espérait que la créature qui l'habitait remontât vers elle. Mais, elle ne vit rien. La jeune femme s'assit au pied de la statue d'Artémis. Elle sortit le miroir de Maya. Elle aurait dû le rendre mais, elle ne pouvait pas s'y résoudre. Elle ferma les yeux se concentrant sur ce qu'elle voulait voir. Mais, la surface vitrée ne la refléta qu'elle. Elle posa le miroir à ces côtés.

Peut-être que c'était ses dons de Lucide qui lui avait permis de voir à travers. Elle ferma les yeux fouillant ses pensées, sa tête, sa magie. Les lignes, avec lesquelles elle avait appris à vivre, n'existaient plus. Mais, dans les tréfonds obscures de son âme, elle perçut une lumière blanche, presque invisible. Elle s'en approcha. La blancheur l'illumina. Ce qu'elle découvrit la surprit. C'était toujours cette vision des deux enfants. Seulement, elle avait été prolongée. Elle se voyait avec quelques années de plus debout à leurs côtés. Elle portait une longue robe beige. Son ventre était arrondi, à nouveau. Léandre, à ses côtés, la dévorait du regard en posant la main sur sa rondeur. Mais, cette image était floue. Ce n'était pas à proprement parler la vision du futur mais un désir qui en avait découlé. Un désir qui ne provenait pas d'elle.

Sophie...

La voix de Léandre résonnait. Il l'avait laissée entrer dans sa tête, ses pensées. Secouée, elle se retira immédiatement. Elle ne voulait pas savoir ses désirs, à quoi il pouvait penser. Il la rendait faible. Si faible qu'elle avait accepté qu'il prenne ses pouvoirs.

Elle n'en avait parlé à personne. Mais, Sophie se souvenait parfaitement du moment où elle s'était associée à Léandre. Alors qu'elle l'entraînait vers leurs corps, elle l'avait senti glisser pour repartir dans l'entre-deux-mondes. Elle avait laissé le vers dévoreur l'envahir, s'accrocher à sa partie lucide avec laquelle il était plus facile de s'associer. Elle avait senti son pouvoir être arraché, anéanti par Léandre. Et, elle l'avait laissé faire. Par peur de le perdre, elle avait laissé un homme arracher ce qu'elle avait de plus précieux, ce qu'elle avait adoré posséder. Elle, qui avait toute sa vie vu sa mère se faire engloutir par un homme, avait juste répété l'histoire.

Elle ne pouvait plus supporter sa propre vue. Elle se dégoûtait. Elle détestait sa détresse, son asservissement, la honte qu'elle faisait sciemment poser sur les épaules de Léandre. Elle osait le faire passer pour le grand méchant loup, celui qui l'avait démembrée. Alors, qu'elle avait été consciente et lui non de ce qu'il s'était passé. Et maintenant, elle devait l'affronter, lui parler.

Une main surgit hors de l'eau la tirant de ses pensées moroses. Sophie détailla ce bras noir, décharné. Ce n'était pas la sirène. Les ongles griffues n'avaient rien à avoir avec cette race. Elle s'approcha du bord. Les vaguelettes dérapèrent jusqu'à ses pieds. Elle observa la surface. Aussi vite que la main était apparue, elle disparut. Mais, elle surgit soudainement, agrippa l'écharpe de Sophie et la tira dans l'étang.

Le froid la cisailla. Le goût vaseux de l'eau remplit ses poumons. Ses pieds se prirent dans les algues. Elle ne tenta même pas de se débattre parce qu'elle n'avait pas besoin de respirer. L'eau remplaça l'air. Elle sentit ses doigts s'écarter à cause des palmes qui lui poussèrent. La main la tira toujours plus loin, la plongeant dans les abymes noires. Sophie perdit le sens de sa vie, son humanité. Elle sombra.

Souvenirs de la Côte d'OpaleWhere stories live. Discover now