Chapitre 45: L'effroi

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Mes oreilles sifflent, couvrant une espèce de brouhaha ambiant, tandis que tous mes membres sont engourdis. Petit à petit, j'émerge au conscience, retrouvant des sensations, mais des sensations toutes décuplées. Des odeurs fétides de transpiration, d'alcool, de parfum ou encore de cigarettes flottent dans l'air, mélangées aux effluves ferreuses du sang. Parmi ces odeurs étouffantes, tout un tas de bruits plus ou moins distants m'assourdissent: des voix enrouées, des rires moqueurs, des cliquetis métalliques, de lourds pas qui tournent sans interruption, des râles plaintifs, des rugissements, des grognements, et des griffes qui raclent une surface métallique.

Lentement, j'ouvre mes paupières fatiguées. Ma vision met un certain temps à s'habituer à la pénombre du lieu seulement éclairé à certains endroits par de minables ampoules électriques. Mais lorsque je réalise où je me trouve, mon coeur s'accélère et l'adrénaline court mes veines. Je me relève précipitamment et commence à imiter le comportement de mes voisins: je tourne frénétiquement en rond dans cette cage de 1,5 m² en poussant de sourds grognements.

Rapidement, un groupe de quatre trappeurs s'avance vers moi, les mains dans les poches et la cigarette à la bouche pour deux d'entre eux. Le seul qui s'approche suffisamment s'avère être une femme. Elle vient s'accroupir à un mètre des barreaux en acier qui composent ma cage, avant de souffler la fumée de sa cigarette sur moi. Je m'arrête au fond de la cage pour la fusiller du regard tout en lui montrant les crocs. La femme explose de rire puis de reporter sur moi un regard faussement navré.

- Désolée trésor, mais tu n'aimeras surement pas la suite.

La femme se relève dans un rire cynique avant de guider sa petite troupe au loin, entre les nombreuses cages métalliques et occupées qui couvrent toute la surface visible de cet entrepôt désaffecté.

Au loin, j'entends une foule crier et applaudir. Je tente de percer la scène à travers toutes les cages arpentées par des ombres qui me cachent la vue. Toutefois, je ne manque pas d'avoir ma réponse lorsqu'une imposante silhouette se dessine dans un faisceau de lumière. La silhouette remonte l'allée sur laquelle je me trouve, traînant quelque chose derrière elle. Mais lorsqu'elle arrive à ma hauteur, je me fige d'effroi. Une affreuse odeur s'insinue dans mes narines, ma terrorisant de plus belle; l'odeur de la mort. Devant moi, passe le corps trainé d'un impressionnant Dos Argenté dont le crâne fendu laisse une trace de sang sur son passage. Terrorisée, j'observe passer ce cadavre parsemé d'affreuses blessures. Puis... un second trappeur arrive, poussant une cage contenant une ombre agitée. Cette dernière tourne et retourne le long de ses barreaux en poussant des grognements à glacer le sang, avant que son regard luisant de haine ne s'ancre dans le mien. Ses babines se retroussent, dévoilant des dents tranchantes, tandis que ses griffes aiguisées grincent sur le métal. Quand sa cage arrive à hauteur de la mienne, je m'éloigne au plus de l'allée, horrifiée par le regard de ce Lion dont le visage est entièrement entaillé par une vilaine cicatrice. Chacun de ses halètements dévoile ses côtes, chacune de ses respirations entravées produit un son étouffé, et chaque centimètre de sa peau est couvert de griffures plus ou moins récentes, toutefois, la haine et la sauvagerie brûlent en lui avec ardeur. Il ne me lâche pas une seconde de son regard perçant, jusqu'à ce que le trappeur tourne à l'ange de l'allée.

Un frisson d'effroi me parcourt, tétanisant tous mes membres. L'odeur du sang m'agresse, l'insipidité des lieux m'étouffe, et les cris bestiaux m'assourdissent. Je pousse un affreux râle plaintif en reprenant mes tours de cage qui se résument à des tours sur moi-même. Mes pattes tremblent sous l'émotion, mais lorsque je tente de reprendre forme humaine quelque chose m'oppresse toute entière et je me vois contrainte de rester sous ma forme d'animal totem. C'est alors qu'un glapissement attire mon attention. Je m'arrête et m'avance vers le devant de la cage pour observer les alentours. Posée sur une autre cage, celle d'un majestueux Faucon Pèlerin y repose. Il m'observe avec attention et pousse un second glapissement. Pour toute réponse, je me recule et me couche sur le sol dur et froid uniquement fait de métal. La tête posée sur mes pattes, je jette un oeil au Faucon Pèlerin qui m'observe toujours attentivement. Contrairement au Lion, aucune forme de méchanceté ne se dégage de lui. Quand soudain, un grognement rauque digne des plus grands ursidés s'élève dans l'entrepôt. Des hommes crient, l'Ours gronde, le Faucon Pèlerin glapit, puis plus rien.

Je soupire de désespoir, complètement surmenée par toutes ses sensations. Et sans m'en rendre compte, mes yeux se ferment lourdement, laissant les ombres tourner indéfiniment en poussant des gémissements plaintifs.

Sans PrétentionWhere stories live. Discover now