Chapitre 33: Tant de questions

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Me voilà ici, de nouveau. Un lit, une chambre, un chalet, un lac, une forêt. Ça y ressemble, mais ce n'est pas chez moi. Où est chez moi ? Maman, Marraine, Père, Zack... ils ont toujours été chez moi. Maël aussi... Mais nous ne sommes pas chez nous. Et pourtant, ça y ressemble. Non, ce n'est pas chez nous.

Depuis que je suis ici, je ne perçois plus le temps. Bien entendu, le soleil se lève chaque matin et se couche chaque soir, mais je ne compte pas, je n'y arrive pas. En fait, je n'arrive à rien. Gabin vient me donner des nouvelles de mon petit frère tous les jours, mais c'est tous les jours la même chose: « il se repose, ses blessures l'ont beaucoup affaibli ». De ce fait, je n'avais pas le droit d'aller le voir. Gabin a dit que Maël viendrait me voir, lui, quand il se sentira mieux. Alors je me retrouve seule, complètement seule. Mon unique compagnie est ce grand lit, ces armoires en bois, et cette salle de bain.

Les bras autour des jambes, mon corps se balance d'avant en arrière dans un mouvement répétitif et hypnotique. Lorsqu'il n'effectue pas ce va-et-vient régulier, mes membres se mettent à trembloter, pris de spasmes incontrôlables. Tout autre mouvement est douloureux ou langoureux.

Par moments, Miss Bizarre vient me voir pour me parler de je ne sais quoi, je ne l'écoute pas, n'entendant que le bruit sourd que produit mon âme. D'autres fois, c'est Gabin qui entre, armé d'un plateau-repas. Mais je mange très peu, voire pas du tout, je n'ai pas faim. Tous les deux essaient de me faire sortir de cette chambre. Toutefois, ce qu'ils ne savent pas c'est que je suis coincée dans mon propre esprit.

J'ai laissé Marraine, Père, et Zack au Clan Rubis alors qu'ils ont besoin de moi. Ils me faisaient confiance, et moi je suis à nouveau partie. Le vide dans mon coeur, c'est leur absence qui se fait ressentir. Elle est de plus en plus difficile à supporter. Ne plus les voir c'est comme ne plus avoir de chez-soi.

- Elisabeth, tu devrais manger un peu. En plus, je t'ai fait de super pancakes !

Gabin me tend la nourriture, me tirant de ma contemplation intérieure. Mon corps cesse de se balancer, et de faibles tremblements remplacent ce balancement réconfortant. Alors je me remets à aller de l'avant, puis de l'arrière, et de l'avant, et de l'arrière... Mes mains ne quittent pas les jambes qu'elles enserrent, alors Gabin finit par soupirer en déposant la nourriture sur l'assiette remplie. Je ne suis pas chez moi. Je suis seule. Ils ont besoin de moi, et je ne suis pas à leurs côtés.

- Tes blessures ne te font plus mal ?

Je continue de me balancer, fixant un point dans le néant.

- Bon... Appelle-moi si tu veux quoi que ce soit.

Sur ce, Gabin repart, laissant en bout de lit un plateau rempli de nourriture.

Dans ma vision périphérique, j'aperçois toujours la même chose: des bleus et des cicatrices, partout. Est-ce que ça fait mal ? Surement, mais je ne sens presque plus rien à part un tiraillement. En fait, cette douleur sourde est la seule chose que je parviens à ressentir. Je pense n'avoir jamais été aussi vide de l'intérieur qu'en cet instant. Pourquoi je ne ressens rien ? Qu'ai-je fait pour ne rien ressentir ?

D'un pas chancelant, je me dirige vers la salle de bain. Je referme la porte derrière moi et ouvre tous les placards. Pourquoi ? J'ouvre le miroir reflétant un visage marqué par toutes sortes de choses, mais pas les émotions. Pourquoi ? Je trouve ce que je cherche sur une petite étagère. Pourquoi ? Je me laisse lourdement retomber contre le bord de la baignoire, l'objet de ma convoitise dans ma main tremblante. Pourquoi ? J'observe mon avant-bras complètement couverts d'affreux bleus et d'horribles cicatrices, les deux plus ou moins récents. Pourquoi ? J'ouvre les ciseaux à son maximum et les pose sur ma peau. Son contact est froid, mais c'est tout ce que je ressens. Pourquoi ? D'un geste rendu imprécis par les spasmes, la lame se presse et glisse. Un picotement se propage dans tout mon bras, puis un autre, et encore un autre. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je ne ressens rien d'autre ? Pourquoi est-ce que tout me semble étouffé ? Pourquoi suis-je loin de chez moi ? Pourquoi Zack m'a-t-il fait vivre ça ? Pourquoi Père m'en a-t-il voulu ? Pourquoi Marraine m'a-t-elle poussé dans les bras de l'Alpha ? Pourquoi maman nous a-t-elle toujours dit de bien nous comporter ? Pourquoi mon petit frère ne vient-il pas me voir ?

Soudain, la porte s'ouvre en fracas et un grand corps maigre surmonté de cheveux blonds s'engouffre dans la salle de bain. Gabin s'empare immédiatement des ciseaux pour les jeter dans le lavabo, avant de prendre mon bras suintant d'un liquide rouge. Pourquoi ? Ses yeux d'un vert toujours aussi clair se plongent dans les miens avec gravité.

- Ne refais jamais ça, Elisabeth !

Gabin s'empresse de prendre la petite serviette de main pour la presser sur mon avant-bras.

- Pourquoi tu as fait ça ? Et ton frère, imagine comment il prendrait le fait de perdre sa soeur. Tu ne peux pas lui faire ça.

Mon corps se met à trembler plus violemment, et je glisse sur le côté, seulement retenue par mon avant-bras fraichement blessé.

- Elisabeth !

Gabin passe aussitôt ses bras sous mon cou et sous mes genoux pour me soulever afin de me sortir de la chambre. Mes membres ne tremblent plus, mais ils sont si lourds que lorsqu'il me dépose sur le lit j'ai l'impression que ce dernier m'engloutit complètement. Mon regard se perd dans le vague de la vue sur le lac, tandis que la voix de Gabin devient lointaine:

- Je vais te chercher quelque chose.

Je ne vois pas Gabin partir, mais je le vois revenir avec un verre. Il s'assoit au niveau de mes hanches, et m'aide à me relever le temps de porter son verre à mes lèvres. Malgré moi, j'en bois le contenu. Le gout doux et sucré englobe ma bouche, tandis que le liquide frais coule le long de mon oesophage. Gabin repose le verre vide sur la console, puis me rallonge doucement. Il replace une mèche derrière mon oreille et dépose une compresse sur mon bras.

- Tout va s'arranger, Elisabeth, ne t'en fais pas.

A ce moment, j'entends de nouveau la porte de la chambre s'ouvrir, puis une silhouette s'approche du lit. L'Alpha du Clan Saphir... Il prend la place de Gabin, compressant mon bras à son tour et plongeant son regard vert émeraude dans le mien, avant de prendre la parole:

- On t'a laissé cette chambre pour que tu puisses t'y réfugier, mais elle ne doit pas être ta cellule. Donc qu'en penses-tu de venir passer tes journées avec nous ? Tu verras, le Clan est bienveillant, ils sauront t'accueillir comme il se doit. Et puis... ton frère est déjà avec eux.

Je tourne la tête vers l'Alpha Saphir, et une étincelle s'allume dans mon coeur. Je ne saurais en déterminer la cause, mais c'est la première fois depuis plusieurs jours qu'une chaleur naît en moi.

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