Chapitre 48: À la rue

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Je pense que si la résonance d'une détonation n'avait jamais inondée l'entrepôt, je ne me serais jamais réveillée.

Avec un râle plaintif, je tente de me relever. Toutes mes blessures se ravivent, me plongeant dans un tourbillon de souffrance, néanmoins l'adrénaline s'insinue en moi lorsque me parviennent des cris de douleur, des grognements de rages, et des coups de feu. Je regarde autour de moi mais ne vois rien si ce n'est des ombres agitées caressant les barreaux de leur cage. Je jette un coup d'oeil vers le Faucon Pèlerin, mais celui-ci semble obnubilé par l'effervescence cachée à ma vue et à mon odorat. Un faisceau de lumière éclaire le sombre entrepôt, et les cris s'élèvent de plus belle. Les gens tirent et les Métamorphes se battent. Puis soudain, une dizaine de personnes en treillis accourent vers nous avant de s'arrêter à quelques mètres de ma cage et de se retourner vers l'allée centrale depuis laquelle s'élève le vacarme. Le Faucon Pèlerin glapit en battant des ailes, et un troupeau de Métamorphes remontent l'allée à toute vitesse, libres de leurs mouvements. Les odeurs se mélangent, les tirs donnent des acouphènes, et les silhouettes se confondent dans la cohue. Au loin, je vois certains Métamorphes libérer leurs semblables à coups de dents et de griffes, avant que ces dernières ne sortent de leur cage tels des enragées pour se ruer vers les humains. L'odeur métallique caractéristique du sang envahie rapidement tout l'entrepôt, tandis que les corps commencent à s'amasser sur le sol bétonné et écarlate.

Un sombre grognement s'élève par-dessus le tintamarre ambiant, et un homme est violemment plaqué contre les barreaux de ma cage dans le sinistre craquement de ses os. Je recule d'un bond, ce qui m'arrache un gémissement. Puis du sang vient rapidement couler à l'intérieur de ma cage, et le garde s'écroule au sol, complètement mort, laissant place à un immense Ours Blanc dont l'épaisse fourrure est parsemée de trous et de sang. Haletant, il plonge son regard dans le mien. Je reste blottie contre le fond de ma cage, mais son odeur de lavande et de pin vient rapidement m'envahir tandis que ses yeux continuent à me sonder. Il pousse alors un petit grognement et brise la serrure de ma cage d'un seul et puissant coup de patte dans lequel il met tout son poids. La porte s'ouvre lentement, mais je ne bouge pas, ni ne quitte l'Ours des yeux de peur qu'il se jette à ma gorge. L'ursidé est le premier à me lâcher du regard, préférant observer le sang séché autour de mes blessures.

La cohue continue de régner, mais j'en fais abstraction lorsque l'imposant Ours fait un pas dans ma cage. Je me colle un peu plus dans le fond de celle-ci, quitte à presser sur mes blessures toutes aussi affreuses que douloureuses. L'Ours s'arrête alors d'avancer et tend son museau dans ma direction en poussant de nouveau son petit grognement. Une gros boum assourdit l'entrepôt, et l'animal se tourne brusquement dans la direction de sa provenance. Puis la seconde d'après, et à ma plus grande surprise, il m'attrape par la peau du cou et me sort de la cage sans pour autant me faire mal ou me traîner. Une fois hors de la cage, mes blessures ravivées, la Métamorphe me lâche pour pousser un grognement pressant. Puis il s'éloigne de moi. Cependant, voyant que je ne le suis pas il s'arrête et réitère ses vocalises. Cette fois, je le suis, et ce, malgré ma boiterie. A chaque respiration une douleur sourdre me comprime la poitrine, à chaque pas mon épaule me brûle affreusement, et à chaque boitement ma patte arrière m'envoie des décharges d'agonie. Je ne marche pas vite à cause de mes blessures et ne cesse de regarder dans tous les sens à chaque bruit. Malgré cela, l'Ours Blanc reste à mes côtés, ne semblant même pas prêter attention au vacarme qui nous entoure.

Dans notre traversée de l'entrepôt, nous ne rencontrons aucun humain étant donné qu'ils sont tous occupés à retenir les intrus ou à lutter pour leur survie. En revanche, nous croisons de nombreux Métamorphes qui libèrent les prisonniers, si bien que les cages sont presque toutes vides. Sauf celle-ci, celle contenant des cadavres impossibles à identifier tant ils sont en charpie, celle dont le sang frais et séché macule le sol métallique, celle dégagent une horrifique odeur mortuaire. Mais surtout, celle contenant ce Lion. Sa cage est relativement grande par rapport aux autres, ne rendant son occupant que plus inquiétant et les cadavres que plus morts. A notre approche, le lion se met à arpenter ses barreaux avec haine et famine. Son regard malsain me transperce de toute part, ses griffes raclent le sol en acier à chacun de ses pas, en même temps que sa peau abimée roule sur ses omoplates, et ses cicatrices se dévoilent sous le faible éclairage du hangar. Avec son visage complètement entaillé, il nous observe tel un prédateur sanguinaire regarderait une biche. Il n'émet pas un son, se contenant de décrire des cercles dans sa cage. L'Ours Blanc lui jette un regard mauvais, puis continue son chemin vers les deux immenses portes donnant sur un extérieur lumineux. Avant que nous sortions de l'entrepôt, j'aperçois le Lion arrêté dans le coin de sa cage, à nous fixer avec une envie malsaine, les griffes plantées dans la piteuse chair d'un des cadavres d'inconnus étendu à ses pattes. Un frisson d'effroi me parcourt, mais il est rapidement chassé par le vent frais et le soleil couchant du monde extérieur. C'est à ce moment que je réalise que nous nous trouvons dans une vielle zone industrielle désinfectée avec pas une once de civilisation à la ronde.

Sans PrétentionWhere stories live. Discover now