Chapitre 1

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— Salut ! Je m'appelle Adilya Següin, et j'ai vingt ans ! Je fais des études sur les comportements humains pour devenir professeur de sociologie dans une université ! Je dois rencontrer mon mari dans deux semaines, et je suis impatiente de connaître l'homme qui va partager ma vie !

— Bon, Mlle, vous pouvez répéter, votre regard s'est éloigné de l'objectif de la caméra quelques secondes vers la fin de votre discours.

Je hoche la tête et recommence mon discours. Cette fois la prise est la bonne, et la dame me fait sortir de la pièce. Elle fait entrer la fille suivante, et je me demande ce qu'elle a fait pour être aussi bas dans la hiérarchie de l'Union, à devoir s'occuper des futures femmes de l'Union.

Cet enregistrement me rappelle quand même l'échéance que j'essaie à tout prix d'oublier et de refouler : dans deux semaines je serai enchaînée à un homme que je serai obligée d'apprendre à aimer, et je pourrai dire adieu à ma liberté. C'est pour ça qu'il faut à tout prix que je rejoigne la résistance avant ces quatorze derniers jours.

Eh oui. Je suis une rebelle. Enfin, j'aimerais être une rebelle. Faire partie de la résistance et ne pas me marier avec un inconnu. Car je n'adhère en aucun cas au régime autoritaire qui nous dirige : l'Union Féminine. Cette Union qui nous dirige depuis plusieurs siècles place les femmes comme membres à part entière de la société, tandis que les hommes sont vus comme des brutes, et doivent, pour refouler leurs pulsions, rester à la maison à s'occuper des enfants. Si jamais ils font une quelconque action qui peut paraître violente aux yeux de l'Union, ils sont envoyés en prison, en dehors de la ville, et on n'entend plus jamais parler d'eux.

Pour rejoindre la résistance, il faut que j'entre en interaction avec quelqu'un qui en fait déjà partie. Le problème c'est que les rebelles sont recherchés et envoyés en prison une fois qu'ils sont trouvés. Alors ils se cachent, et agissent dans l'ombre.

Depuis quelques années, la résistance devient de plus en plus évidente. Et l'Union a beau dire, elle ne maîtrise pas vraiment les agissements des rebelles. Elle cache tout. Elle ne diffuse pas sur les médias les bâtiments du gouvernement qui ont pris feu, ou les dirigeantes qui sont menacées, voire parfois violentées.

Pourtant les résistants font tout pour que la société soit au courant de ce qu'ils ont fait, et de ce qu'ils préparent. Car oui, ils se battent pour faire tomber l'Union, mais après, ils veulent construire un monde meilleur, où les hommes seront les égaux des femmes, et où ils participeront aux décisions politiques.

Malheureusement, la résistance ne possède pas beaucoup d'atouts pour se battre face à l'Union. Notre gouvernement possède des armes physiques et psychologiques qui font du mal à quiconque ne possède pas la puce donnée aux membres de l'Union après quatre ans de mariage. J'ai déjà vu, à titre d'exemple et de menace, une arme agir sur un rebelle capturé. C'était il y a trois ans, mais je m'en souviens toujours. L'homme était enfermé dans une cage en verre, hermétique aux sons, et une dirigeante nous avait montré que, lorsqu'elle appuyait sur un bouton, les enceintes présentes dans la cage déversait un son que l'homme n'avait pu supporter. Il était mort sous les yeux d'une cinquantaine de jeunes adolescentes au bout de quelques minutes.

J'entre dans le tramway qui s'arrête pile en face du bâtiment officiel du gouvernement de l'enregistrement des jeunes femmes. Je mets de la musique dans mes oreilles, et patiente une vingtaine de minutes avant de pouvoir descendre à ma gare. Je marche encore un peu avant d'entrer dans l'immeuble où habite ma famille. Je prends le courrier, ou devrais-je dire la propagande, qui se trouve dans la boîte aux lettres, et monte les escaliers le plus vite possible.

Je pousse la porte de chez moi, et entre dans l'appartement. Je pose le courrier sur le comptoir, dis bonjour à mon père qui cuisine, et vais voir ma mère qui travaille dans son bureau. Je ne fais pas de bruit lorsque j'entre dans la pièce, et lui fais un câlin alors qu'elle est dos à moi.

Ma mère sursaute et s'empresse de fermer la fenêtre qui était ouverte sur son ordinateur.

— Ma chérie, tu m'as fait peur !

— Désolée maman, tu fais quoi ?

— Rien qui te regarde ma chérie... Ton enregistrement s'est bien passé ?

— Oui. Mais je ne me sens pas prête à rencontrer l'homme avec qui je vais devoir passer ma vie.

— Pourtant tu devrais être prête, ça fait vingt ans que tu sais ce qui va t'arriver.

Je sais, mais elle est aussi au courant que je ne suis pas à l'aise avec la vie dans la société de l'Union. Elle ne comprend pas que je suis mal dans ma peau en ce moment...

— Oui, mais je ne veux pas que l'Union ait un quelconque pouvoir sur moi, et cet homme sera un moyen de faire pression sur moi.

Ce que je dis est risqué, j'ai beau savoir que ma mère souhaite mon bonheur, je viens de dire explicitement devant elle que je ne souhaite pas suivre l'Union dans ce qu'elle prévoit comme projets pour moi. Son rôle de membre de l'Union est maintenant de me dénoncer au gouvernement, et de me voir disparaître à jamais.

L'Union FéminineWhere stories live. Discover now