16 - Bunji Tōga

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Yoshio Gojō poussa la porte de l'izakaya, un petit bar du quartier d'Arakawa que fréquentaient les employés de bureau à la sortie du travail. Il frissonna et referma derrière lui. L'hiver était en avance cette année, ça n'arrangeait pas ses rhumatismes. Le barman leva la tête en entendant la porte et il le salua.

– Monsieur Gojō, dit-il. On ne vous voit plus beaucoup ces derniers temps.

Le vieux boxeur s'installa au bar, sur un tabouret, et il posa sa canne près de lui. L'izakaya était presque vide. Seuls deux hommes étaient installés au comptoir et un en salle. Ce dernier mangeait des yakitoris (NDA : yakitori, brochette de viande) et une chope de bière presque aussi haute que son bras était posée devant lui. Il semblait déjà un peu éméché d'ailleurs.

– Je me fais vieux Sendō kun, dit le boxeur, à mon âge on se couche tôt. L'inconvénient, c'est qu'on se lève tôt aussi. Si tu ouvrais ton établissement vers quatre ou cinq heures du matin, j'y passerais plus souvent !

Il aboya un rire rauque et le barman sourit.

– J'y penserai monsieur Gojō, je vous promets d'y réfléchir, répondit-il en riant à son tour. Qu'est-ce que je vous sers ?

– Un sake, grommela le vieux. Et pas une de ces saletés de supermarché que tu sers aux touristes, hein ?

– Évidemment, dit le barman.

Il tira une bouteille poussiéreuse de sous le comptoir et une coupe à sake – choko – qu'il remplit à ras bords avant de la pousser vers le vieil homme. Le coach Gojō était l'un des seuls clients à exiger encore d'être servi dans une coupe traditionnelle plutôt qu'un verre. Cela amusait le barman, ce genre de clients faisait le caractère d'un izakaya.

Le vieux goûta et il laissa échapper un grognement appréciateur. Un instant plus tard, le barman reprit.

– Qu'est-ce qui nous vaut le plaisir de votre visite ? Dit-il. Est-ce que je peux vous aider ? J'imagine que vous ne vous êtes pas déplacé un soir de semaine juste pour goûter notre sake.

Le regard du coach se perdit au fond de sa coupe.

– Non, tu as raison, dit-il. Il y a quelqu'un que je veux voir.

Comme il disait ces mots, un tumulte, devant la porte, annonça de nouveaux clients. Quatre employés de bureau passablement débraillés – la chemise sortie du pantalon et le veston posé sur le bras en dépit du froid – entrèrent.

– Chef ! S'écria le plus âgé, sans doute le patron. À boire ! On a soif !

Tous les quatre s'installèrent au bar, non loin du vieux coach, et le barman fit glisser vers eux des chopes de bière. Le patron commença à boire et les trois autres l'imitèrent.

Les nomikai. Le vieil entraîneur était content de ne jamais avoir eu à subir ce genre de soirées. Boire parce qu'un patron vous le demande, très peu pour lui.

(NDA : Nomikai, 飲み会, littéralement, réunion pour boire, le terme décrit les soirées que les employés japonais passent entre eux pour boire après le travail. Le plus souvent elles sont organisées par les patrons/chefs de service et il est presque impossible pour un subalterne de refuser d'y participer)

Une heure plus tard, le patron se leva et paya et deux des employés l'imitèrent. Arrivé à la porte, l'un d'eux se tourna vers leur compagnon qui n'avait pas bougé de son tabouret.

– Tōga san, dit-il, vous ne rentrez pas ?

L'homme resté au comptoir était toujours plongé dans sa chope de bière.

– Pas encore, dit-il en tournant vers lui un large sourire rougi par l'alcool, je veux finir mon verre avant.

L'autre rigola.

– D'accord, bonne soirée alors. À demain !

Les trois autres partirent et les bruits de la rue disparurent quand ils fermèrent la porte derrière eux.

– Je vous offre quelque chose à boire, coach ? Dit Bunji Tōga lorsque ses collègues furent loin.

– Pas ta cochonnerie de pisse alors, dit le vieil entraîneur en désignant la bière que son voisin de comptoir tenait toujours à la main.

Le père de Chiyo rit et il commanda un autre sake pour le vieux.

– Comment ça va Bunji ? S'enquit le vieux Gojō. La famille va bien ?

À côté de lui, Bunji demanda une nouvelle bière au barman et il en but une longue gorgée avant de répondre.

– Ça va coach, dit-il. Rien à signaler. Mes deux petites femmes vont bien.

Il y avait de l'affection dans sa voix lorsqu'il parlait de sa femme et de sa fille.

– Tant mieux, dit le boxeur, c'est le plus important.

Tous les deux burent en silence un moment, puis l'entraîneur reprit.

– Ta gamine a remporté son premier match aujourd'hui, dit-il. Un K.O. en même pas un round face à une pro qui était classée quatrième de sa catégorie l'année dernière.

Bunji leva les yeux de sa bière, surpris, et le vieux ajouta :

– Elle a la même droite que toi à l'époque.

Chiyo ? Bredouilla Bunji.

– Elle s'entraîne dur, poursuivit le coach, et elle a du potentiel. Même l'entraîneur de son adversaire l'a remarqué.

Chiyo ? Répéta son père. Ma Chiyo ?

– En fait, continua le boxeur, elle se débrouille tellement bien que j'envisage de la faire passer dans le circuit professionnel.

– On parle bien de ma petite Chiyo ? Répéta encore une fois Bunji, abasourdi. Ma fille ? La gamine qui refusait de partir à l'école le matin si sa mère ne lui faisait pas ses couettes fétiches ? Elle fait de la boxe ? Elle a remporté un combat ?

– Oui, lui dit le vieux. Si tu veux tout savoir, elle a débarqué dans ma salle il y a quelques mois maintenant. Depuis elle s'est entraînée d'arrache-pied. Elle a un bon niveau ta petite, on dirait toi quand tu étais plus jeune.

L'entraîneur replongea dans sa tasse de sake pour laisser à Bunji le temps de digérer la nouvelle.

– Ma fille... boxe, dit-il, et elle a un bon niveau.

– Elle aussi elle aimerait passer sa licence pro, reprit le vieux Gojō. Mais elle dit que sa mère ne sera pas d'accord.

Bunji se leva brusquement, faisant tanguer sa chope à demi vide, les deux mains sur le comptoir.

– Comment ça Ayumi ne sera pas d'accord ? S'écria-t-il. C'est quoi cette histoire ?

Puis il se rassit.

– Oui, dit-il, c'est vrai que ça n'est pas le genre de choses dont Ayumi rêve pour la petite.

Il réfléchit et reprit.

– Faites ce qu'il faut monsieur Gojō, dit-il, si c'est ce que veut Chiyo, je me charge d'Ayumi.

Un instant plus tard, un grand sourire se peignit sur ses traits.

– Racontez-moi, dit-il, comment elle s'en sort...?

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Bad boy [Wakasa x OC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant