XLVII- Cœur endurci, âme meurtrie

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(Musique : Shut out of paradise de Slo)

Rentrer dans l'eau. Se laver. Frotter son corps contusionné. S'allonger. Regarder le plafond en sentant le liquide clapoter sur les bords de la baignoire -enfin ce qui s'en approchait. Fixer un point et ne penser à rien. Faire le vide. Pardon, s'efforcer de faire le vide. Oublier. Se fondre dans la mousse. Devenir ce pan de mur. Fermer les yeux. Ne rien ressentir. Ne rien ressentir. Ne rien ressentir.

Deux coups à la porte me firent revenir à la réalité et m'interrompirent dans ma série d'injonctions. Je n'étais pas prête à y retourner, je ne voulais pas. Je désirais seulement continuer à me fondre dans la mousse, me noyer dans l'eau trouble jusqu'à tout oublier. Jusqu'à ne plus exister. Trois coups cette fois. Je continuais de m'enfoncer, tout plutôt que revenir à la surface, à la réalité, à ce qui se passerait après, à la mort de celui que j'aimais.

Je m'éloignais. Peut-être que c'était mieux ainsi, je doutais d'avoir la force de faire face à quoi que ce soit à présent. Je commençais à oublier... Pourquoi m'étais-je battu avec tant de férocité déjà ? Pourquoi avoir fait tout ça si c'est pour que des gens meurent ? Pour qu'il meurt... ?

Soudain deux bras. Ils se mirent à m'agripper et tentèrent de me faire revenir. Non, je voulais rester ici, ne plus penser, ne plus ressentir la douleur, elle était devenue trop présente dans ma vie. Mais ils semblaient ne pas m'entendre, ne pas comprendre. J'émergeai.

Inspirer, expirer. Inspirer, expirer.

- Elena !

Ouvrir les yeux. Elena... Oui c'était mon nom. Elena Parker... Elena Parker...

Je vis deux visages penchés vers moi. Ils étaient flous. Bientôt, ma vue retrouva sa netteté et je pus distinguer Clarissa et Helder, les traits marqués par l'inquiétude.

- Elena tu vas bien ? Me questionna Helder la voix anormalement tremblante.

- Non. Non je ne vais pas bien, prononçai-je d'une voix blanche.

Clarissa arriva à ce moment là munie d'une sorte de peignoir et m'aida à sortir de l'eau. Mes membres étaient endoloris et mon esprit embrumé. Helder se tourna, gêné, ce qui dans d'autres circonstances m'aurait fait rire et rougir en même temps, mais pas ici, pas aujourd'hui. Je me mis à grelotter. Combien de temps avais-je passé dans cet état semi conscient ?

- Majesté, que vous est-il arrivé ? S'affola Clarissa en voyant mon regard perdu.

Des flashs de la veille me revinrent par vagues. Les combats. Le feu. Le sang. Danaël. Le sang. La rage se transformant en pouvoir destructeur. Les cris. Le néant.

Je respirais de plus en plus fort, sans m'en rendre vraiment compte.

- Je n'y arriverai pas... Je n'y arriverai pas... Psalmodiai-je.

- Clarissa, laisse nous s'il te plaît, dit Helder en s'approchant de moi.

Je la vis du coin de l'œil, me jeter un regard alarmé mais j'étais trop dans le vague pour la rassurer. J'entendis finalement la porte s'ouvrir puis se refermer.

Le sang. L'océan de larmes. Le sang. La souffrance.

- Elena regarde moi.

Pourquoi ? Pourquoi lui ?

- Elena regarde moi !

Les mains d'Helder saisirent mes épaules et me tournèrent vers lui pour que je rencontre enfin son regard. Il était d'un vert-gris orageux tirant anormalement vers le noir. Je pouvais y lire la profonde douleur qu'il éprouvait lui aussi et cela ne fit qu'augmenter ma peine et ne la rendre que plus réelle. Heureusement que ses mains me tenaient fermement sinon je me serais laissé tomber par terre, terrassée par la souffrance.

La Marcheuse de rêves - TOME 1Where stories live. Discover now