Livre n°3

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Plus je regarde la pile de documents sur mon bureau, plus la sensation de malaise m'envahit. J'avais pourtant donné un bon coup de balai hier alors pourquoi il reste autant de dossiers non traités ? Est-ce une sorte d'illusion d'optique et je verrais double ?

- Eh bien ? On ne se sent pas bien ?

Hugo est à son bureau et relève à peine le nez de son écran tandis qu'il affiche clairement un petit sourire en coin.

- C'est vous, n'est-ce pas ? Vous rajoutez des dossiers exprès, le soupçonné-je

- Non, mais je constate avec effarement que tu n'avances pas beaucoup. Et tu es étudiant, hein ? Je pensais que les étudiants de nos jours étaient noyés sous une quantité phénoménale de travail ? Cette pile ne devrait pas te faire peur.

- Ce n'est pas le cas ! Je n'ai jamais dit ou mentionné le fait que ça me faisait peur. D'ailleurs, je n'ai rien du tout.

- Alors qu'est-ce que tu attends pour t'y mettre ? Une invitation peut-être ?

Il ne manque vraiment pas de culot. Il est là, tranquillement assis, tapotant sur son clavier tandis que je me tape clairement le sale boulot. Je me demande si ce type a un jour fait sa compta ? Est-ce qu'il déclare ses revenus ? Comment ça se passe au niveau de l'administration ? Est-ce qu'il est en règle au moins ? Je ne travaillerais pas au noir par hasard ?

Lâche l'affaire Léon, avant que ça ne te prenne la tête.

- Vous écrivez quoi comme roman en ce moment ?

- Curieux ?

- Je fais seulement la conversation. Ce bureau est d'un calme plat, c'est déprimant.

- C'est ce que je préfère en règle générale pour me concentrer, mais avec un piaf qui piaille tout le temps, c'est difficile.

Est-ce qu'il ne me vise pas directement là ? Il parle de moi, n'est-ce pas ?

- Hein, Titi ?

Si. Il parle de moi.

J'essaye alors de me focaliser sur ma montagne de dossiers, tentant tant bien que mal de donner un ordre certain à cet amas de paperasse qui semble sans queue ni tête. On aurait dit qu'il a un jour pris tous ses papiers traînant ici et là et qu'il les a tous compilés ensemble sans réfléchir du style "Je rangerais plus tard". Mon pauvre Hugo...Ne jamais remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même. Ça éviterait bien des choses.

- J'écris un roman MxM, réponds-t-il enfin

- Oh...

- Tu sais ce que c'est au moins ?

- Nope. Je n'en ai pas la moindre idée.

- Alors toi ! Tu viens faire ton stage chez un auteur sans le connaître ou connaître son travail ?

- Je connais "H-Ley" autant que la moitié de la population mondiale sans doute, mais je ne vous connais pas vous.

- T'as déjà lu un de mes romans ?

On dirait que ça l'étonne.

- Oui, avoué-je

Certainement le plus sulfureux d'entre eux d'ailleurs.

- Lequel ? demande-t-il curieusement en levant enfin le nez de son ordinateur

- "La passion de Lisbeth".

- Ah. Je vois.

Pas le meilleur pour commencer, mais à l'époque, j'étais un jeune et fringuant jeune homme totalement ignorant alors du monde de l'édition. D'ailleurs, je ne savais même pas qu'on pouvait tolérer ce genre de...scènes.

- Tu as aimé ?

- Vous êtes sérieux ?

- C'est toujours bon d'avoir l'avis d'un lecteur, tu sais. Même le moins éclairé d'entre eux.

- Il y a à peine cinq minutes, vous disiez que vous aimiez le silence. Pourquoi vous n'en faites pas un vœu et repreniez votre écriture ? Vous me dérangez également.

- Ah oui ? Tu m'en diras tant.

Il se lève de sa chaise et se rapproche dangereusement de la table qui me sert de bureau tandis qu'il pousse les dossiers d'une main et vient poser sa fesse sur le bois.

- Qui a commencé à faire la conversation et à mentionner le fait qu'il voulait me connaître ?

- Moi, je l'admets, mais je suis capable de faire plusieurs choses à la fois.

- Donc, tu peux répondre à ma question, n'est-ce pas ? Donc ? J'attends.

- Quoi ?

La saint glinglin sans doute.

- Ton avis sur "La passion de Lisbeth"

Quelque chose me laisse à croire que je ne m'en tirerais pas en esquivant tout simplement le sujet ou en faisant comme si j'étais occupé à traiter des papiers de la plus haute importance, même si j'ai l'impression que c'est le cas.

- Je n'ai aucun avis.

Si j'en ai ! C'était carrément indécent et violent ! Je suis pour la mise en place d'avertissement du style des étiquettes que l'on collerait sur les romans avec un "-18 ans" dessus. J'avais 17 ans ! 17 ans ! Je ne connaissais rien à la vie, rien à l'amour et je suis tombé sur ce livre qui m'a conduit en erreur et mon historique internet était bourré de recherches farfelues, car je ne comprenais pas certains termes. Le choc quand j'ai découvert tout ça !

- Donc je présume qu'il est inutile que je te détaille ce qu'est le MxM. Je perdrais sans doute mon temps.

- Sans aucun doute, oui.

Il fait mine de repartir vers son bureau avant de s'arrêter de nouveau.

- Tu n'es même pas curieux ?

- Non, là ça va.

- Pas même un petit peu ?

- J'ai trop de travail pour me permettre d'avoir le temps de m'intéresser à autre chose.

- Je vois. Je comprends, oui. Tu as raison.

Repartant vers son bureau, je reprends mon souffle tandis que mon cœur semble se remettre à fonctionner. Sa proximité est dangereuse pour mon petit corps fragile. Il faut que je me méfie. J'ai vraiment eu l'impression qu'il allait me manger tout cru. C'est dingue ce qu'il peut dégager comme aura ou je ne sais quoi.

- C'est une romance entre hommes, relance-t-il après un silence interminable

- Quoi ?!

Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il me dit ça ? Pourquoi moi ?

- Et vous me traitiez de canari tout à l'heure, mais vous êtes pas mal dans votre genre aussi.

- Ce qui est formidable, c'est que si tu es Titi, je suis Gros Minet.

- Pourquoi ?

- Tu sais quel est rêve de Gros Minet, Léon ?

Se faire Titi une bonne fois pour toutes, non ?

- À ton avis, à quoi tu sers ici ? Lucas t'a engagé juste pour booster mon inspiration. J'ai une question pour toi, qu'est-ce qui fait un bon écrivain ?

- Je n'en sais rien : La passion...L'acharnement...

- L'expérience Léon. Plus on s'y connait dans un domaine, plus on est bons et devine quoi ? Mon roman traite d'une relation entre un maître de stage rigide et son apprenti.

- Je ne serais certainement pas votre petit cochon d'Inde de labo. Hors de question !

Alors dans un large sourire satisfait, il ouvre le tiroir de son bureau et en sort une copie de mon contrat de stage avant de me regarder.

- Trop tard. Tu as signé pour ça. Sois heureux Léon, tu vas me servir de base pour mon prochain roman à succès.

Sous ta plume (BxB)Where stories live. Discover now