Livre n°20

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Il y a des jours où l'on se plaint d'avoir une vie monotone, faite de petites routines quotidiennes et dont peu de choses sortent de l'ordinaire. On passe la semaine en sachant exactement à quelle heure se lever, à quelle heure aller bosser, à quelle heure manger et à quelle heure se coucher en fin de journée. On voit les jours défiler les uns derrière les autres, enchaînant les rendez-vous de programmés ou bien les réunions planifiées. Les heures s'écoulent et rien ne vient perturber cela. Absolument rien. Honnêtement, ce genre d'existence peu existante, mais bien remplie me plaisait jusqu'à présent, car j'avais cette sensation de contrôle entre les mains et j'en étais pleinement satisfait, mais depuis quelques maintenant, les choses sont différentes. Aucun jour ne se ressemble, chaque journée apporte son lot de surprises quotidiennes et plus le temps passe, plus je me dis que je devrais sérieusement faire quelque chose pour retourner à ma vie d'avant.

Mais quoi ?

Bien que toute cette situation soit chaotique, sans dessus et m'apporte mon lot de stress et d'angoisse, je dois dire que je m'y plais. C'est comme être sous une drogue vous rendant addict au premier contact. Dès qu'on réalise qu'on l'a dans le sang, on veut s'en débarrasser et pourtant on se refait rapidement un petit tour de manège, car on aime la sensation qu'elle nous apporte. Et c'est bel et bien le cas pour moi. J'aime ce que cette expérience m'apporte. De nouveaux sentiments, une impression d'être plus vivant que jamais. Oui, je me sens vivre pour la première fois depuis une éternité. Je ne sais pas si c'est quelque chose dont je devrais me réjouir et j'avoue avoir encore du mal à bien discerner ce qui se passe en moi, mais cette boule dans la gorge, ce nœud à l'estomac, cette pression au cœur...Tout ça, dans un certain sens, me ravit. J'ai l'impression de découvrir une nouvelle facette de moi-même. Je me découvre.

Je découvre que je ressens des choses que je n'ai pas ressenties depuis longtemps ou alors, pour personne. Je découvre des sentiments que je ne pensais pas possible d'éprouver.

Avant, quand je lisais un roman, je me foutais toujours de la gueule de ces écrivains perdus dans le détail des sentiments. Ces lignes, non, ces pages où l'on s'attarde à vous décrire un sentiment si fort, si puissant, un sentiment que tout compte fait, on ne peut pas vraiment décrire. J'ai cette sensation-là moi.

La sensation d'avoir planté en moi, une graine, qui soudainement s'est mise à éclore pour je ne sais quelles raisons. Je n'ai rien fait de spécial. Je n'ai même plus fait attention à ce petit picotement intérieur. Je me suis contenté de suivre le cours de la vie comme une brindille flotte sur un cours d'eau. Je me suis contenté de me dire que c'était "normal". Mais ça ne l'est pas.

- Léon ? Léon, est-ce que tu m'écoutes ? Je te vois rêvasser depuis tout à l'heure.

- Hmm ? Je réfléchissais. Pardon. Vous me parliez de quelque chose ?

- À quoi réfléchissais-tu ?

- À vous.

Je m'arrête et ferme les yeux en me rendant alors compte que je viens de dire à haute et intelligible voix, quelque chose que je n'aurais pas dû. Ça m'a tout simplement échappé.

- À moi ? Tu m'en diras tant ? Et pourquoi suis-je le fruit de tes pensées ? Non pas que cela ne me flatte pas, bien au contraire.

Alors que je lutte depuis des jours pour mettre Hugo Layton dans un coin de ma tête, voilà que je le vois en miniature, partout. Comme si...Comme si mon cerveau était subitement devenu un énormément rangement et que dans chaque boîte, il y avait un petit lui. Il est partout et honnêtement, je ne sais pas pourquoi subitement, il m'apparaît comme ça. Je ne sais pas pourquoi Hugo a une si grande importance dans ma tête. Peut-être parce qu'il est celui qui a foutu le bordel dans ma vie ? Celui qui m'a retourné le cœur ? Celui qui me fait me poser toutes sortes de questions le soir alors que j'essaye de dormir ? Ma rencontre avec Hugo m'a clairement pourri la vie. C'est censé être une bonne chose et pourtant...À son sourire satisfait et son regard braqué sur moi, je devine qu'il n'y a rien de "bon" dedans.

- Ce n'est pas ce que vous croyez. Arrêtez de vous faire des idées et je pensais que l'on avait été clairs sur ce..."sujet" là.

- De quel sujet veux-tu parler au juste ? Non parce qu'il y en a tellement et puis ma mémoire à mon âge...

Oh pitié ! Tu crois vraiment que c'est le moment de me jouer pour la énième fois la carte de l'âge quand t'as qu'une trentaine d'années ?

- Non. Vous ne m'aurez pas. Je commence à vous connaître maintenant, vous savez ? Vous allez me faire dire la chose à voix haute pour en tirer avantage et me taquiner avec tant que nos chemins ne se séparent pas.

- Quelle chose ? Ce n'est pas toi tout à l'heure qui parlais de communication. Si tu ne me dis pas les choses clairement, je ne peux pas comprendre.

Cela ne devrait même pas m'étonner. Hugo est auteur, son métier lui-même consiste à jouer avec les mots. À les tourner et les retourner. C'est un maître de l'art et il sait très bien manipuler certaines phrases pour les mettre à son avantage et je déteste quand il fait ça, car je ne sais alors pas quoi lui rétorquer et je me retrouve coincé, sans défense et sans aucune idée de quoi dire ou faire devant lui. Il doit d'ailleurs le remarquer, ce petit côté "paniqué" que j'ai quand je me retrouve coincé dans une situation pareille.

- Oubliez. Et puis pourquoi vous me suivez encore ? Votre immeuble est dans un quartier opposé au mien.

- Je m'assure que tu rentres en toute sécurité. Rien de plus. Tu sais les rues...

- Ah non, hein ! Le discours du "Le danger se trouve à chaque coin de rue", vous me l'avez déjà fait. On se sépare ici et maintenant. Vous allez dans votre direction et moi vers la mienne.

- Nous sommes au beau milieu des jardins publics, il fait pratiquement noir parce qu'un lampadaire sur deux fonctionne, tu crois vraiment que je vais te laisser au milieu de ce trou à emmerdes ?

- Bon, on quitte les jardins et on se sépare ensuite.

On a passé les jardins dans le silence. Puis la grande avenue commerciale. La rue des banques également et...

- Stop ! Arrêtez maintenant !

- On est à 10 minutes de chez toi.

- Raison de plus. Je ne bougerais pas d'ici tant que vous ne ferez pas demi-tour ou que je ne vous vois pas monter dans un taxi.

- Très bien, très bien, je me rends. Tu veux que je monte dans un taxi ? Je vais monter dans un taxi.

Alors au bord de la route, Hugo appelle un taxi arrivant plus loin tandis que ce dernier ne tarde pas à s'arrêter à notre hauteur.

- Satisfait ?

- Montez. Je veux vous voir partir.

- J'ai un pied dedans, ça compte ?

- Non.

En signe de résignation, Hugo soupire avant de se passer une main sur la nuque comme s'il était emprunt à un quelconque dilemme. Je le connais son petit jeu d'acteur de cinéma, il ne m'aura pas.

- Allez, partez. Vous faites perdre du temps à ce brave homme.

- Léon ? Tu tiens tant que cela à te débarrasser de moi ?

- Pas à me "débarrasser" à proprement parler, mais à me séparer de vous, oui. J'ai besoin d'espace de temps en temps. Je vous l'ai dit.

- Bien, bien, bien. Je m'en vais. Le cœur brisé, les larmes aux yeux, je m'en vais l'âme en peine.

- Le numéro de Caliméro ne prend pas sur moi.

Je le maîtrise bien mieux d'ailleurs

- Oh, une dernière chose avant que je ne m'en aille noyer mon chagrin dans mon whisky.

Il aime vraiment en faire des caisses pour un rien.

- Quoi, encore ?

M'attrapant par le bras, il m'attire de toutes ses forces vers lui et m'embrasse avant de se retirer, se léchant la lèvre supérieure.

Je le regarde partir, médusé et à peine remis de ce qu'il vient à l'instant de se passer, voyant son visage sortir par la vitre arrière du taxi se mettant en route.

- Maintenant tu pourras penser à moi même dans tes rêves ! Tchaoooo !

Quel fieffé enfoiré !

Sous ta plume (BxB)Where stories live. Discover now