Livre n°37

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J'ai demandé à Hugo si, après notre entretien au café, ce dernier pouvait me suivre dans un endroit particulier et si je m'attendais à ce qu'il me pose des questions quant à notre destination, il n'en fut rien. Hugo s'est contenté d'hocher la tête et de me suivre dans le plus grand des silences.

Ces quelques semaines de séparation m'ont permis de réfléchir à un nombre incalculable de choses. Parfois des trucs à la con, parfois des choses qui me sont parue comme essentielles à éclaircir et j'en ai convenu que je ne pourrais jamais vraiment aller de l'avant si je ne regarde pas derrière moi. Ma vie n'a été qu'une fuite géante et j'ai rarement pris le temps de jeter un œil par-dessus mon épaule par peur de voir certaines choses. J'ai donc préféré jouer l'autruche et continuer à avancer tant que je le pouvais, mais voilà...J'arrive à un moment où je ne peux plus fuir. Je ne peux plus me cacher. Si je veux que ça avance, il faut alors que je sois complètement et totalement honnête, surtout après les grands monologues que je lui ai faits sur l'importance de la communication. Hugo a toujours été celui qui fait le premier pas vers moi, celui qui me tends la main et il n'a pas rechigné à me parler de lui, de sa pseudo histoire avec Justine et même si je sais qu'il reste encore énormément à faire, à dire, à découvrir, lui, il a fait ce pas vers moi. Tandis que je n'ai cessé de reculer. À chaque fois. Par peur sans aucun doute, mais peur de quoi ? Peur qu'il découvre ce que je cache ? Mais je ne suis même pas certain d'avoir quoi que ce soit à cacher. Je suis un petit gars tout à fait normal, avec son cœur abîmé par la vie, mais c'est le cas de tout le monde, n'est-ce pas ? Je n'ai rien d'exceptionnel, rien de plus. Pas d'enfance malheureuse, pas d'adolescence ténébreuse, rien de tout ça. J'ai vraiment grandi en étant heureux...Du moins en essayant de l'être.

Mais comme tout à chacun, j'ai eu mon lot d'évènements marquants. Peut-être même traumatisants. Le genre de souvenir que l'on préféré oublier. Enfouir. Le genre de souvenir auquel on ne veut pas se raccrocher.

Après une heure de bus, à regarder un paysage bien trop familier à mon goût défiler sous mes yeux, je fais descendre Hugo à un arrêt bien spécifique à 5 mètres à peine d'un terrain de foot désert.

- Tu te demandes sans doute pourquoi je t'ai emmené jusqu'ici, n'est-ce pas ?

- Je pense que ce n'est pas pour jouer au foot. Ça tombe bien, ce n'est pas mon sport favori.

- J'y ai joué pendant trois ans, mais j'ai dû arrêter.

Comme j'ai arrêté de vivre, je crois. Trois ans dans une vie qu'est-ce que c'est ? C'est à la fois court et extrêmement long, non ?

- Je devais avoir 14 ans quand je me suis aperçu que je n'aimais pas spécialement les filles. Je les trouvais jolies, certes, mais quand j'ai eu ma première copine au lycée...La première fois que j'ai voulu lui faire l'amour, j'en ai été incapable. Ce n'était pas elle le souci, c'était moi. Seulement moi. Je n'y arrivais pas. Son corps ne m'attirait pas et forcément, ça s'est su rapidement. On s'est séparé, elle a propagé la nouvelle comme une brise soufflerait sur un pissenlit. J'étais capitaine de l'équipe de foot du lycée, puis j'ai été relégué à remplaçant soi-disant pour me ménager, mais finalement à force de petites "attentions", j'ai fini par arrêter. Tout le monde s'en trouvait soulagés, car ils avaient peur d'attraper ma "maladie". C'est sûr, c'est contagieux. Tout comme la stupidité d'ailleurs.

Je m'assois au centre du terrain tandis qu'Hugo me suit, mais reste debout en face de moi. Cela faisait des années que je n'avais pas eu la sensation de l'herbe fraîchement coupée entre les doigts. Quelque part, ça me rend nostalgique d'une époque que je pensais être la meilleure de ma vie.

- Puis le comportement de l'équipe s'est rependu sur ma classe et de ma classe au lycée tout entier. Je savais qu'en parler ne servait à rien, n'en changerait rien et ne ferait, sans doute, qu'empirer les choses. Alors, je suis resté seul un moment. Un bon moment, jusqu'à Georges. C'était, je crois, la seule personne qui comprenait mes silences et qui n'avait pas...

- Peur de toi ?

À ma voix vibrante, Hugo prend le relais pour finir ma phrase. Mes yeux le fuient et s'enfoncent plutôt sur la pelouse autour de moi. J'ai le cœur lourd. La gorge nouée. Chaque mot est comme une aiguille et chaque souvenir est un morceau de verre. Ça fait un mal de chien de se souvenir, d'en parler. D'oser en parler.

- Je ne te connais pas depuis très longtemps et même si souvent j'ose dire que tu es pour moi un livre ouvert, je dois avouer que ce n'est pas le cas. Mais pour ce qui est de ton comportement et sachant ce que je sais sur toi, je dirais que tu t'es naturellement renfermé sur toi-même en estimant que ressentir de l'affection, de l'attirance ou du désir pour une personne du même sexe n'était pas normal.

- J'estimais qu'ils avaient raison...Que ce n'était pas "naturel". Je ne pouvais pas aimer quelqu'un comme moi.

- Je comprends. Je comprends aussi ta réticence quand je t'ai pourtant ouvertement dragué ! Seigneur que ce fut difficile, tu ne m'as pas facilité la tâche !

- Et je ne compte toujours pas le faire. Mais je tenais à ce que tu saches à peu près cette histoire-là. Peut-être qu'un jour, je te raconterais tout.

- Peut-être que j'en ferais alors de même, mais on n'est pas obligé de se connaître par cœur et de tout savoir l'un de l'autre. Dans un premier temps, on peut juste profiter des beaux jours, tu ne crois pas ? Tu ne peux pas changer ce que tu as vécu Léon, mais ces épreuves ont fait qui tu es aujourd'hui et même si tu as peur...Sache que je ne compte pas te lâcher d'une semelle.

- Oui, mais jusqu'à quand ? Je ne te sers plus à rien maintenant que ton livre est fini, n'est-ce pas ?

- Ton rôle n'était pas de m'aider à construire un livre à la base.

- Ah oui ? Alors, c'était quoi ?

Finalement, il tend la main vers moi et tandis que je la saisis, il m'aide à me redresser du sol. Il me tire vers lui avec une puissance et une facilité déconcertante.

- C'était de m'aider à me reconstruire. Nous avons tous les deux nos blessures de guerre, nos bobos au cœur et pourtant, nous sommes là. Peut-être que c'est fait pour durer ou peut-être pas, mais honnêtement, j'aimerais bien que ça dure un moment, car tu vois, j'ai envie d'en apprendre plus sur toi. J'ai envie de savoir quel visage et quel Léon je vais devoir affronter aujourd'hui. Je connais Titi, le Léon trouillard, aujourd'hui j'ai eu un aperçu d'un Léon sûr de lui et je dois avouer que celui-là m'a fait de l'oeil.

Hugo arrive quand même à me faire sourire malgré le fait que ma tête soit pleine de souvenirs douloureux d'un temps passé à me demander si un jour je trouverais véritablement ma place quelque part. Je ne suis toujours pas certain de savoir si elle est avec Hugo ni même si ça va durer, mais je devrais tout simplement profiter de ces instants de répit que la vie m'offre tandis que j'apprends à me construire autour de lui.

- Je veux voir de quoi ce Léon-là est capable.

- Oh crois-moi tu n'es pas prêt.

- Surprends-moi ?

- N'est-ce pas déjà le cas ? Je suis une surprise à moi tout seul.

Il éclate alors de lire avant de me prendre dans ses bras. J'ai l'impression que c'est plus un câlin de réconfort plutôt qu'une simple accolade.

- C'est pour ça que j'aime autant les surprises.

C'est bien le seul, moi je déteste ça. Et moment même où Hugo et moi avons cette chance, une grosse surprise est en train de nous arriver droit dessus.

Celle-là, je ne l'avais pas vu venir.

Sous ta plume (BxB)Where stories live. Discover now