Livre n°31

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Ce qui est formidable quand on est hospitalisé c'est que l'on n'a strictement rien à faire si ce n'est sourire aux personnels qui vient nous laver le derrière, grincer des dents quand des internes viennent faire leurs devoirs dans notre chambre, subir les exercices de kiné pour se remettre en forme et regarder pour la énième fois, la saison 25 des "Feux de l'Amour".

- C'est moi ! Je t'apporte tes devoirs !

Lucas entre dans la chambre avec une sacoche autour du cou et me dépose sur les genoux mon ordinateur, une clé USB et un classeur.

- Voilà. Tu as ton ordi, sur la clé y'a le bouquin donc bien sûr faudra déjà que tu lises le début pour savoir quoi faire. Si tu as des questions, envoie-moi un mail, je te répondrais dans la journée.

- Et le classeur c'est quoi ?

- Oh ça ? Le planning avec les dates et tout le tralala. Je ne veux pas te mettre la pression, mais je me suis dit que si tu gardais en tête que tu as des délais, ça m'aiderait grandement.

Aucune pression, hein ?

- Je compte aller voir Hugo pendant que tu t'y mets. Ça te vas ?

- Je t'en prie.

Et avant même que je n'aie le temps de poser la moindre question supplémentaire, le voilà qui file comme un courant d'air. À cet instant, je me sens exactement comme Frodon quand il s'est rendu compte que dire tout haut "Je vais aller déposer l'anneau dans le Mordor" n'était pas une si bonne idée que ça. Comment suis-je censé reprendre le travail d'Hugo ? Vais-je y arriver ? Saurais-je écrire comme lui ? J'ai tout un tas de questions dans la tête présentement et aucune d'elle ne semble trouver une réponse convenable.

S'il était là, il me dirait certainement de faire comme je peux. Il me regarderait avec tendresse et m'encouragerait. Il me sifflerait quelques mots, auxquels je me raccrocherais et auxquels je croirais. Hugo était alors mon phare en pleine mer. Qu'importe la tempête, je savais que si je suivais sa lumière, je serais capable de me retrouver. De le retrouver lui.

"Écris Léon. Écris ce que tu as en tête, ce que tu as sur le cœur. Écris tout ce que tu veux écrire, peu importe le reste. Laisse-toi guider par les mots que tu couches."

Si seulement ça pouvait être aussi simple. Si seulement !

Éteignant alors la télé et branchant la clé USB, je me suis mis à lire les 289 premières pages du roman d'Hugo. Parfois j'ai souri. Souvent j'ai ri. J'ai été même ému par les personnages et leurs parcours. Par les choix déchirants qu'ils sont amenés à faire. Il y a quelque chose dans la plume d'Hugo qui rend un récit si vrai, si réaliste, comme si on avait sous nos yeux deux personnes que l'on serait susceptible de connaître.

J'ai lu jusqu'à m'imprégner de l'histoire. J'ai lu jusqu'à être capable de dire qui dit quoi à quel chapitre. J'ai lu en essayant de comprendre la mécanique de pensée.

J'ai lu jusqu'à être capable d'écrire de ma page blanche "Chapitre 31".

Et puis, saisi d'un moment de doute m'engloutissant tout entier, j'ai refermé l'écran.

- Ce n'est pas pour moi. Je n'en serais pas capable.

Je ne peux pas le faire. Écrire à la place d'Hugo, c'est lui prendre sa place. Je ne peux pas. C'est une trop lourde responsabilité et j'ai les épaules bien trop fragiles pour porter un tel poids. Je ne m'en sens pas capable. On ne devient pas "H-Ley" d'un simple coup de doigt comme si Joséphine Ange Gardien était passé dans le coin, ça ne marche pas comme ça. Il faut plus...Il faut son passé. Il faut son vécu, son expérience, ses émotions.

Sous ta plume (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant