Sous ta plume (BxB)

Livre n°21

Main sur la bouche, doigts effleurant à peine mes lèvres, allongé sur mon lit fixant le plafond d'un blanc cassé, je rejoue cette scène au moins un millier de fois avant de me demander si c'était pas une sorte de rêve éveillé. Un de ces rêves où l'on a conscience de rêver où tout parait absurde, mais si réel à la fois. Je me suis demandé si cette sensation de picotement est bel et bien réelle ou si c'est juste mon cœur qui m'envoie un signal pour me dire que je suis en arrêt cardiaque. Je ne sais pas. Honnêtement, je me sens comme une pucelle que l'on aurait défleurée trop tôt, trop vite, sans prévenir.

Je ne sais même pas si je serais capable de mettre des mots sur ce que je ressens présentement. Certes ça m'a choqué, mais ça ne m'a pas déplu. Pourtant, ça devrait, non ? Je devrais m'en retrouver consterné, abasourdi, traumatisé. Je devrais hurler, en faire tout un drame, mais sur l'instant, je n'y arrive juste pas et je ne sais même pas pourquoi. Il est vrai que depuis quelque temps je me pose de plus en plus de questions sur la nature de mes relations avec Hugo. Sur ce que je ressens quand on ne se retrouve que tous les deux, mais dès qu'une petite étincelle de bonheur arrive, la réalité me gifle comme une ex furieuse. Hugo est de dix ans mon aîné. C'est mon tuteur de stage sur le papier. C'est un homme à part entière. Un homme. C'est aussi un auteur de génie et de talent, même si je ne lui ai pas dit.

Maintenant que j'y pense, je ne lui ai jamais dit ce que je pensais de lui, sans doute parce que je sais déjà comment il va réagir. Il se mettra à sourire bêtement en disant que ça y est je suis tombé sous son irrésistible charme. Ça serait le flatter et je ne veux pas le flatter. Je veux...je veux...Qu'est-ce que je veux au juste ? Je ne sais pas. Pourquoi est-ce que je me retiens autant ? Pourquoi est-ce que je me mets autant de freins ? On ne vit qu'une fois, je devrais le savoir mieux que n'importe qui, je ne devrais pas avoir peur, ni même redouter tout ça. Plutôt que de repousser ce que je ressens, je devrais embrasser et accueillir fièrement ces sentiments qui sont en moi et qui ne cessent chaque jour de grandir un peu plus.

Je l'ai réalisé peut-être trop tard parce que je ne le voulais pas. Je ne voulais pas m'embarquer dans une histoire pareille. Tout ce que je voulais et tout ce que je souhaitais, c'était de mener une existence tranquille, mais à force de tranquillité, je crois que j'ai fini par m'ennuyer. Un ennui dans lequel je me suis embourbé jusqu'au cou...Jusqu'à ce que sa main mienne vienne attraper la mienne.

Néanmoins, est-ce que j'ai envie de tout ça ? De vivre une telle histoire ? Je veux dire, il est qui il est : Joueur, provocateur, séduisant, mais toutes ces facettes-là ne sont-elles pas justement une sorte de divertissement pour lui ? Ne serais-je pas un jouet de plus dans son incroyable collection ? Ne va-t-il pas me jeter quand il aura fini avec moi ? J'ai peur de ça. Peur de me retrouver tout seul une nouvelle fois.

Pourrais-je m'autoriser à aimer encore une fois même si je venais à finir brisé ?

J'ai décidé d'oublier le geste d'Hugo en le mettant dans un coin de ma tête le temps du week-end. Décidé à faire autre chose pour m'occuper l'esprit. J'aurai certainement dû profiter de mon temps libre pour lire ce livre sur Justine, mais je n'en ai même pas le courage. Rien que de regarder la couverture provocante de cette silhouette féminine en nuisette rouge, suffit à me rappeler à son souvenir. Je ne veux clairement pas me rappeler de cette femme.

J'aurai aimé pouvoir partir en vacances, loin de cette ville, histoire de faire un break. Une pause. Prendre le temps de réfléchir à quoi faire et quelle tactique de combat déployer maintenant qu'Hugo a fait son premier mouvement.

- Bon les enfants, préparez vos valises, nous partons en vacances ! Aux frais de la maison d'édition bien sûr !

Lucas et moi laissons tomber nos dossiers quand nous voyons Hugo revenir tout sourire, brandissant trois billets d'avion. J'espère que c'est une blague ?

- Sérieusement ? demande Lucas

- Sérieusement. J'ai réussi à convaincre le petit peuple que je devais changer d'air pour trouver l'inspiration. Du coup...Voilà le résultat de mon charme incroyable. Je savais bien que la comptable m'aimait bien.

- Peut-être parce que tu as couché avec elle ?

- Ah oui, pas faux.

Voilà pourquoi je m'inquiète et m'interroge. Cet homme est un lapin ! Il a dû s'envoyer en l'air avec la quasi-totalité des gens de cette ville. Ça me désespère. Hors de question que je sois un nom de plus sur sa liste et tant que je serais vivant, je lui opposerais résistance.

Soudain, je sens deux regards se braquer sur moi ayant gardé le silence depuis l'annonce de notre départ imminent.

- Bah alors Léon ? On dirait que ça ne te fait pas plaisir.

- Ah si, si. Je nous imagine déjà, trois hommes assis les uns à côté des autres dans l'avion. Tout va bien.

- C'est un voyage d'affaires ! me rétorque Hugo

- Mais bien sûr. Vous allez sûrement vous prélasser dans un hamac toute la journée en buvant je ne sais combien de mojito.

- Honnêtement, je ne suis pas très menthe, mais c'est plutôt une bonne représentation de ce que je comptais faire, effectivement. Mon cher Léon, quand il faut deviner mes intentions, je te trouve de plus en plus doué.

Peut-être parce que la majorité d'entre elles me concernent la plupart du temps ? Encore heureux que j'ai pris le temps de l'observer ! Un peu plus et il pourrait me piéger facilement. Je me sentirais alors comme un pauvre papillon pris au piège sur une toile d'araignée et prêt à se faire dévorer par cette dernière.

Hugo est clairement une araignée dans ma vie. Il a tissé sa toile tout autour de moi et il attend progressivement pour que je vienne me coller dessus. Le moment viendra et je ne pourrais jamais me défaire alors de son emprise, mais tant que j'ai conscience de ça, alors je suis sauvé.

Je le vois alors me faire les yeux ronds pour tenter de m'amadouer et je dois dire que je succomberais s'il n'y avait pas Lucas à côté de lui.

- Je viens. Mais uniquement dans un but professionnel. Ce n'est pas des vacances, sifflé-je

- Oh ! J'ai une idée ! annonce alors l'agent

Hugo et moi nous retournons vers lui tandis qu'il s'approche de nous, posant chacune de ses mains sur nos deux épaules.

- Vous n'avez qu'à partir tous les deux. Il suffit juste d'une personne pour surveiller qu'Hugo fasse ses devoirs correctement et avance son manuscrit. Si je viens, j'ai peur que Léon puisse croire qu'il a des vacances et je n'aurai rien à lui donner à faire. Je me sentirais mal.

- Quoi ?! Mais pas du tout, je...

- Taratata ! Inutile de discuter. Je vous laisse partir tous les deux. En échange, je veux tous les soirs une preuve que le travail avance. Je compte sur toi pour me fournir tout ça Léon. Ça sera...Ton devoir à toi. Rien qu'à toi.

- Comment suis-je supposé faire ça ?

- Film, envoie des photos, comme tu veux. Débrouille-toi. Je peux bien te confier la responsabilité de veiller corps et âme sur Hugo, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas le moment où je suis censé dire "non" en me trouvant une multitude d'excuses plus ou moins bidon ? Je sens que c'est ce genre de moment, mais étonnamment, je suis incapable de dire un mot, de produire un son. Rien ne viens et je me retrouver coincé avec le sourire satisfait de Lucas.

- Bien, comme on dit : le silence vaut mille mots. Je prends donc cela pour un "oui".

- Mais je n'ai rien dit !

- N'oublie pas Léon ! Corps et âme !

Est-ce supposé me dire quelque chose ? Y'a-t-il un quelconque message caché dans ces mots ?

- Bon eh bien, il faut croire que cela ne sera que toi et moi ! sourit Hugo en me dévisageant

- Ne souriez pas. Ne faites pas cette tête d'homme pleinement satisfait par la tournure des évènements.

- Pourquoi n'ai-je pas le droit d'être heureux ?

Parce que l'on sait tous les deux que cette petite escapade ne donnera ni lieu à un roman, ni même à des vacances reposantes. Loin de là.

- Rien que d'y penser, je suis déjà épuisé, soupiré-je en retournant m'asseoir à mon bureau.