mon proviseur.

3.5K 384 127
                                    

30. mon proviseur.

A cet instant précis, j'aimerais plus que tout être ailleurs qu'ici. J'apprécierais même d'être chez ma mère, à manger les mêmes éternels sushis qu'elle a fait commander par son assistance comme à chaque fois qu'elle va rentrer tard ou pas du tout. Ou alors en train de me prendre la tête avec elle ou mon père. Quoique pour ça, ça ne saurait tarder finalement. Je n'ai qu'à être un peu patient.

Les couloirs de ce lycée ne m'ont jamais paru aussi calmes qu'à ce moment alors que je déambule derrière le proviseur tel un condamné à mort qu'on emmène à l'échafaud. Cette image n'a jamais été aussi réelle qu'aujourd'hui. Je reste cependant droit, fier de qui je suis ou plutôt de ce que j'ai fait parce que je suis peut-être le prochain pendu mais je suis aussi innocent ou presque.

Les murmures sur notre passage ne m'atteignent pas. Ni même les regards en coin. Je ne connais pas la plupart de ces personnes jusqu'à ce que la silhouette d'Elliott se détache de la foule. Sa haute stature ne porte pas à confusion. Nos regards se croisent et je vois ses sourcils se froncer avant que je lui souffle simplement « Dae » en espérant qu'il comprendra.

Nous arrivons finalement aux bureaux administratifs du lycée et le proviseur me fait attendre dans son bureau ouvert, le temps de passer un coup de fil urgent à mon paternel. Il doit être en cours ou en train de s'occuper d'Ali, il a autre chose à faire que de venir régler les problèmes de son bâtard de fils. Ma jambe se met malgré moi à gigoter quand le directeur me rejoint et commence à déblatérer son discours qui semble bien rôdé.

— Hugo, je te parle ! résonne la voix du proviseur dans la pièce quelques minutes plus tard quand il n'obtient aucune réponse ou même réaction de ma part.

Je soupire. Il faudrait que je sois un idiot fini ou sourd pour ne pas entendre le sermon qu'il me sert depuis une éternité. Mais je n'essaie pas de comprendre le moindre son qui sort de sa bouche parce que comme tous les précédents, il s'est déjà fait une idée de moi et de la situation. Je ne peux rien dire pour me défendre ou même donner une explication. Il ne m'écoutera pas. Il ne m'en a pas demandé de toute manière...

— Ton père a été prévenu.

Alors que j'ai la tête baissée, un sourire amer apparaît sur mon visage. Comme si je n'avais pas entendu son appel...

— Il arrive.

Je suis assez surpris qu'il ait le temps pour ça. Voilà la seule chose qui changera des autres fois. Ce n'est pas l'assistante de ma mère qui me ramènera à la maison ou un taxi après mon expulsion. Ça sera mon paternel...

— Que va-t-il penser de tout ça ? insiste le proviseur.

Je lève les yeux au ciel avant de me laisser aller contre le dossier de la chaise. Je croise les mains devant moi, sur mon ventre, les coudes posés sur les accoudoirs. Je fixe cet adulte à l'air hautain et lui réponds le plus posément possible :

— Rien à foutre de ce qu'il en pense.

Mais c'est faux. Malgré ce que j'espérais en arrivant dans cette ville, je n'ai pas envie d'avoir cette altercation avec mon père. Pas maintenant en tout cas. Ce n'est pas pour lui mais parce que je n'ai pas envie de changer une nouvelle fois de lycée. Je suis fatigué de tout ça et je suis bien ici. J'aime passer du temps avec mes sœurs, Elliott, Dae et Ady.

— Hugo, ce n'est pas une manière de penser. Ton père...

— On sait tous les deux que ce n'est pas la première fois que je me bats, tous les sermons possibles et inimaginables m'ont été servis, alors arrêtez de gaspiller votre salive à essayer de me résonner.

— Ton avenir...

— Je m'en fous de mon avenir.

Je n'en ai pas. Maintenant, tout ce que j'espère, c'est garder contact avec mes sœurs et mes amis une fois que je serai parti. C'est la seule chose qui m'importe.

Le proviseur s'apprêtait à ouvrir la bouche quand des coups sont donnés à la porte du bureau. Je ferme les yeux parce que je sais qui se trouve de l'autre côté. Je grimace quand le proviseur lui intime d'entrer et que la porte grince sur ses gonds.

J'ouvre les yeux et vois mon père passer à côté de moi pour aller serrer la main du boss du lycée en le saluant poliment. Hypocrisie quand tu nous tiens. Il est sur le point de virer son fils et mon père lui lèche le derrière... J'aurais presque envie de vomir en les écoutant papoter comme deux vieilles commères parce que quelle chance ! Mon père le connait pour avoir travaillé avec lui dans un autre établissement. Puis soudain, le proviseur semble se souvenir que ce n'est pas une réunion des anciens combattants et lance à mon paternel :

— Ce qui s'est passé est très sérieux, Louis...

— J'aimerais parler à mon fils seul à seul avant qu'on commence cette discussion.

Mes yeux ressemblent à des soucoupes et ceux du proviseur ne sont pas mieux. Il est aussi surpris que moi. Je déglutis, pris au dépourvu.

— Je... Ok, je vous laisse cinq minutes.

Il contourne son bureau et referme la porte derrière lui. Les secondes qui suivent son départ sont tellement silencieuses que j'ai l'impression que mon père peut entendre mon cœur battre avec force contre ma cage thoracique. Puis finalement, il se tourne vers moi et son regard examine chaque centimètre de mon visage. J'ignore ce qu'il y cherche mais il a l'air soulagé quand il finit par s'asseoir sur la chaise à côté de la mienne.

— Raconte-moi tout.

Je suis sonné par ces quelques mots. Raconte-moi tout. Tellement sonné que je n'arrive pas à ouvrir la bouche. Il approche sa chaise de moi, voyant que je suis pétrifié. Il pose une main sur mon épaule et reprend la parole en m'affirmant :

— Je suis là pour t'aider, Hugo.

Je baisse les yeux sur mes mains liées après avoir eu un petit rire jaune.

— Tu veux m'aider ou éviter que ta réputation soit entachée ?

Cette fois, c'est lui qui rit joyeusement.

— Ma réputation ? Si tu savais comme je m'en fous. Il y a beaucoup de choses que tu ignores sur moi, Hugo, dont celle que je n'ai jamais eu une bonne réputation dans cette ville.

Je relève les yeux vers lui et il me sourit presque tendrement.

— Après que mon père nous ait abandonnés, je me suis beaucoup battu. Trop te dirait mamie. Je m'en suis pris des coups et j'en ai donné encore plus.

— C'est... C'est vrai ?

Il acquiesce d'un mouvement de tête et j'ai l'impression de voir une étincelle de fierté traverser son regard.

— Ma réputation était tellement mauvaise que ton oncle Nolan avait peur de moi avant qu'on devienne les meilleurs potes. Les premiers mots qu'il m'a dits ont été de s'excuser auprès de moi alors qu'il ne m'avait rien fait de mal.

Ce souvenir semble beaucoup l'amuser.

— Il... Il avait vraiment peur de toi ?

— On dirait bien. Il faut dire que j'étais une petite terreur à mon époque. Mais j'avais toujours une bonne raison de me battre. Comme toi. La seule différence avec toi, c'est que je ne me faisais pas chopper.

Je râle pour la forme par sa taquinerie mais je ne sais pas trop quoi penser de ce qu'il vient de m'apprendre. Je suis d'un côté soulagé de savoir qu'il me comprend mais d'un autre, cette énième ressemblance entre nous me déstabilise. J'en ai même les larmes qui me montent aux yeux.

— Raconte-moi ce qui s'est passé avant que ton proviseur me dise sa propre version.

J'hésite. Me croira-t-il ? Ou fera-t-il comme ma mère ? Sa main serre un peu plus mon épaule comme pour me montrer qu'il est là pour moi.

— Je sais que tu ne te bats pas pour passer le temps.

Je me passe une main dans les cheveux et grogne parce que je sais que je vais craquer. Je vais tout lui dire. Mon nez se fronce de mécontentement avant que je lui avoue :

— Je voulais juste aider Dae.

problem child. - idy 2Where stories live. Discover now