XVI. Ballade en G mineur, Op 23

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19 juillet 2019

Rongé par l’envie de savoir ce qui le préoccupe, je me retiens malgré tout, un long silence régnant dans la voiture. Quelques minutes après que nous soyons partis, contre toute attente, Cole prend la parole.

-Je repensais à ce qu’il s’était passé samedi. Et je crois que je l’ai jamais évoqué, mais je sais jouer du piano.

-Sérieusement ? Tu n'en avais jamais parlé effectivement. Tu as appris ça quand ?

-Au début de ma seconde.

-Grâce à des cours ?

-Non non, j’ai appris tout seul. Il y avait une salle de musique, dans un des bâtiments, avec un piano qui servait généralement pour le prof. Un jour où je devais apporter quelque chose dans cette salle, je l’ai vu, et j’ai voulu essayer. Après ça, j’y allais dès que j’avais le temps. Aux récrés, le midi et même après les cours.

-T’avais le droit ?

-Oui, j’étais dans les bonnes grâces de la CPE, alors elle m’y autorisait. Au bout d’un  moment, elle en avait marre que je passe à son bureau à chaque fois, pour prendre les clés, alors elle m’en avait donné  un double.

-Pfff…

Lorsque je tourne brièvement la tête vers lui, je remarque son regard perdu vers l’horizon et un léger sourire illuminer ses lèvres.

-Et tu en joue encore ?

-Il y a un piano au bar auquel je travaille, alors ça m’arrive souvent de jouer. Les habitués viennent régulièrement me voir pour me demander de jouer un morceau.

-Tu sais jouer quoi ?

-Pas mal de choses mine de rien ! Mais mon compositeur préféré reste Chopin. Le premier morceau que j’ai appris à jouer était la Ballade en G mineur, Op 23. Je connaissais à peine les bases quand j’ai commencé, et ça m’a pris 3 mois juste pour arriver à le jouer sans fautes, avec la partition sous les yeux. Mais je me souviens avoir été si content que je l’ai joué 4 fois d’affilée ensuite. Après ça, en deux semaines, je l’avait tellement répété encore et encore que j’aurais pu le jouer les yeux fermés.

-Et c’est toujours le cas ?

-C’est très probable. Du moins quand un habitué amène quelqu’un de nouveau au bar et me demande de faire une démonstration, c’est toujours celle là qu’ils demandent.

-Tu me la joueras un jour ?

-Si tu veux !

-Mais en fait, c’est quoi qui t’as motivé comme ça ?

-…

Il ne répond pas tout suite, et, du coin de l’œil, je le vois baisser la tête.

-À cette période, on va pas dire que j’avais un moral de fou. Ma relation avec mon père était toujours aussi mauvaise, s’est ajouté à ça plusieurs évènements qui m’ont énormément affecté, qui ont provoqué fatigue et notes en chute libre, des reproches des professeurs et des mauvais regards des élèves. Tout ça cumulé avec des incidents par ci par là, ont provoqué, deux semaines avant que je prenne un intérêt pour le piano et la musique, une tentative de suicide.

Lorsque ses mots s’impriment dans mon esprit et que j’en comprend le sens, mon pied enfonce la pédale de frein et fait piler la voiture (à un feu rouge heureusement). Je me tourne vers lui, les yeux écarquillés. Il a toujours la tête baissée, un sourire triste sur le visage. Il relève la tête vers moi, et forçant un nouveau sourire, me dit :

Le Mystère de MilénaWhere stories live. Discover now