42. À ma Marraine la bonne fée

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"Ne pas dire un mot de toute une journée, ne pas voir de journal,
ne pas entendre de radio,
ne pas écouter de commérages, s'abandonner absolument, 
complètement, à la paresse, être absolument, 
complètement, indifférent au sort du monde, c'est la plus belle médecine qu'on puisse s'administrer."

Henry Miller

Cher John, 

je sais ce que vous penserez en lisant ces mots. Mes mots. Vous penserez avoir échoué, mais vous n’avez pas échoué, John. Jamais vous n'échouerez.
Ne couchez pas votre reine, car ce n’est pas un échec et mat, Docteur.

Vous qui m’avez écoutée et épaulée, plus encore, vous qui avez accepté de garder secret mon impossible union avec votre plus proche ami, vous même qui avait tenté de me mettre en garde contre les dangers d’une amitié comme celle qui me liait à Lou, un garçon qui déborde tellement de vie qu’à deux ou trois reprises, il a essayé de se l’ôter, laissez-moi vous dire que Champion le petit poisson s’en sort, finalement.

Et par un miracle que je ne saurais expliquer, Lou et moi sommes à l'heure où je vous écris toujours vivants. C’est lui qui vous a appelé ainsi, le jour où je l’ai rencontré. Vous êtes ma marraine la bonne fée, John.

Il est le soleil, je suis la lune, et nous nous sommes liés durant une courte éclipse. Deux ballons dans un monde d’épingles, pas vrai ? Deux dépressifs qui puisent en l’autre la force de survivre... Nous aurions pu en faire une magnifique histoire.
Mais cette histoire n’est pas celle de Lou, ni même celle d’Ethan. Pas même celle de mon frère. Cette histoire est mienne et je tiens à y inscrire un point ; il est grand temps, désormais.

Parce que vous aviez raison, en fin de compte. En fin de conte, la princesse vit et s’épanouit hors de sa tour, heureuse. En fin de compte, je souhaite devenir et redevenir le personnage principal de ma propre vie, celle autour de qui le monde tout entier, son monde à elle, tourne. Alors, en fin de conte… En fin de conte. Voilà tout. Moi, mon histoire, et quelque part entre les deux, vous. Une note de bas de page qu’il serait bien dommage de manquer. Je vous tiendrai à la page, promis.

Peut-être.

Alors, vous l’aurez compris, je ne sauterai ni d’un toit, ni d’une falaise, et ne me noierai ni dans une baignoire, ni dans une mer agitée. Pas cette année, je vous le promets. Pourtant, vous trouverez bel et bien au fond de mon cercueil ce que vous pensez y trouver.
Vous m’avez sauvé la vie de bien nombreuses fois au cours de ces derniers mois, acceptez de me laisser partir. Il le faut. Et venez, je vous en conjure. En ce jour si particulier, j’aurai besoin de vous, plus encore que jamais.

Ce cinq juin prochain, une heure avant que vous ne preniez le goûter, au cœur de la petite clairière que vous ont décrit chacun de mes épisodes, chacun de mes cauchemars, les bras chargés de souvenirs avec lesquels je pourrais partir. Ne venez pas habillé de noir, il y a eu trop de tristesse dans ma vie pour que je n’en emporte avec moi lors d’un pareil événement. Je compte sur vous pour cela.

Faites-les rire. Faites rire Ethan, je vous en prie. Faites rire Lou, et, si vous êtes suffisamment courageux et audacieux, je sais que vous l’êtes, alors faites rire mon frère. Je sais de source sûre qu’il nous voit et nous entend.

Vous trouverez avec cette lettre une seconde lettre à l’attention du Père Raphaël ; ne la lisez-pas, laissez-la seulement en évidence sur l’un des bancs de l’église. Et traduisez mes amitiés à Jim ainsi qu’à votre père.

Bien affectueusement, Beth, votre Petite-Tête.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now