3. Un inconnu à connaitre

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Je rêve que nous sommes des papillons n'ayant à vivre que trois jours d'été ; avec vous, ces jours seraient plus plaisants que cinquante années d'une vie ordinaire.

John Keats.

— Serait-ce mon humeur qui aurait soudainement tournée au gris, ou bien est-ce le ciel qui nous joue un mauvais tour ? demanda-t-il en levant la tête pour regarder le ciel s’assombrir. Mieux vaudrait ne pas trop tarder. Je suis garé à deux rues d'ici, désirez-vous que je vous raccompagne ?

— C'est gentil, c'est vraiment gentil, merci. J'habite de ce côté-ci de la ville ; tout ira bien.

— Je vois, oui. Je vais par-là, et vous, vous... ?

— Moi aussi, je vais par-là, dit-elle.

Heureux hasard, leur destination possédait quelques ruelles en commun. Suffisamment pour poursuivre leur conversation de bibliophiles passionnés au beau milieu de la rue. Quelques minutes plus tard, pourtant, un grondement donna raison à l’écrivain. L'orage arrivait. Ils pouvaient d'ores et déjà sentir les premières effluves d'une pluie qui allait être mémorable.

Les cieux, enténébrés, devinrent yeux énervés. Ils ne firent pas attendre les poètes plus longtemps, la pluie se mit à tomber sur les toits de Wibstorm. Ardemment. Promptement. En quelques secondes à peine, ils se virent trempés et leurs vêtements détrempés. Le ciel continua à se charger en électricité. Encore. Et, comme une lueur d'espoir fendant une nuit noire, un éclair vint se faire voir.

— Il pleut à verse, laissez-moi vous conduire chez vous ! hurla-t-il afin qu'elle puisse l’entendre au-delà des intempéries.

— Non, merci !

— Vous êtes trempée, Elise, ne faites pas l'enfant ! Si le ciel continue de s'agiter, nous allons avoir droit à une véritable tempête !

— Je...

La foudre frappa de nouveau, et le tonnerre ne cessa plus de gronder. Elizabeth aurait juré sentir le sol trembler sous ses pieds, mais de toute évidence, la seule à trembler ici, c'était elle. Elle prit alors la meilleure décision qu'il lui était donné de prendre. Contre son gré. Qui était-elle pour lutter ? Qui étaient-ils pour discuter avec l'Histoire ? Peut-être était-ce là l'une des premières pièces d'un puzzle, d'un plan ineffable. Elle ne pouvait qu'espérer faire bonne route, même si cela revenait à lancer un dé et prier pour obtenir un six.

— C’est d’accord ! Vous avez gagné.

— Je suis navré, je n'ai pas entendu ! se joua-t-il d’elle en criant par-delà la pluie.

— J'ai dit que j'acceptais !

— Excellent ! Ravi que vous soyez revenue sur votre décision, l'écrivaine. Maintenant, courez !

Et ils se mirent à courir. Ils se mirent à courir comme ils l'auraient fait si l'apocalypse avait fait de ce jour, son jour de gloire, entouré en rouge dans le calendrier des temps humains, bien noirs. La française, en réalité purement anglaise, connaissait l'Apocalypse. Elle avait lu Good Omens de Terry Pratchett et Neil Gaiman un mois plus tôt. Elle était littéralement tombée amoureuse du démon Crowley, de son sarcasme et de sa Bentley.

Elle connaissait l'apocalypse. Elle vivait l'apocalypse depuis des semaines déjà. Des mois qui lui paraissaient sans fin. Alors, en ce seize août, elle estimait avoir le droit à un jour de congé. Et il ne demeurait guère improbable que cet homme soit lié à ce moment de répit Peut-être l'univers se décidait-il enfin à négocier avec elle. Ou bien conspirait-il encore contre elle. En vérité, plus rien n'importait. Le jugement dernier allait devoir s'armer de patience et lui accorder une pause. Pour respirer. Entre deux apocalypses.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now