18. La chenille qui était devenue papillon

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“Elle avait dans ses yeux la force de son coeur”

Baudelaire.

Le troisième jour d’Elizabeth à Teaghlach fut lui aussi compliqué. Le troisième jour, Elizabeth choisit de garder le silence.

Bonsoir, ma jolie Française.
Bonjour, peut-être. À vrai dire, je ne sais quand vous lirez ces mots, ni même si vous les trouverez. Mais je nous les dois, à vous, comme à moi. Parce que nous avions passé une si belle soirée, ne l’avions-nous pas fait ? C’est injuste. Je suppose que la vie l’est, parfois. Souvent, lorsqu’il s’agit de nous. Je vous aime, en avez-vous seulement conscience ? Comment en auriez-vous conscience, puisque je ne sais vous le dire lorsque vous êtes près de moi consciente et éveillée ? J’aimerais pouvoir remettre la faute sur vos frêles épaules qui trésaillent et vous dire que si vous ne les avez pas entendus après que je vous les ai chuchotés tant de nuits, c’est uniquement que vous ne vouliez pas les entendre, mais je sais être le seul à blâmer. Parce que vous dormiez, jeune et jolie fille du bar. La danseuse de Capald Hill. Mon inconnue qui ne m’est plus étrangère, et l’étrangère qui ne m’est plus inconnue. Vous dormiez à chacun de mes “Je vous aime, ma Dame de Pompadour”, parce que je suis un idiot. Un sot. Le plus sot des sots, mais un sot qui vous aime. Et pour cette raison-ci, je ne peux plus être cet égoïste.

Alors, à l’heure où vous lisez ces mots, vous et moi nous trouvons dans deux villes différentes, dans l’interdiction, je suppose thérapeutique, de communiquer. Ne me détestez pas trop, je vous en conjure. Parce que je vous pleurerai. À chaque nouvelle pluie et à chaque nouvelle lune, je vous pleurerai. À chaque couple que je surprendrai à flâner main dans la main, je vous pleurerai. À chaque fois que je lirai du Shakespeare, je vous pleurerai. Je vous pleurerai à chaque fois que me prendra la folle envie de danser, à chaque fois que me parviendra quelque mot français et même à chaque fois que me narguera l’odeur d’un chocolat ou, pire encore, celle d’une cigarette. Je vous pleurerai aussi en regardant l’une de ses comédies où tous s’aiment et où tout finit bien, parce que tout finira bien.

Vous avez bien lu ; tout finira bien, mon ange. Même si nous n’avons jamais été ensemble à proprement parler. Même si vous devez me quitter sans qu’aucun de nous ne le veuille. Même si notre monde implose. J’aime mieux vous savoir partie et vous couvrir de fleurs que vous ne recevrez pas, que vous savoir partie couverte de fleurs que vous ne sentirez plus. Que vous me voyiez ou non, que vous en doutiez ou non, je me tiendrai là, comme je l’ai fait hier, comme je l’ai fait la semaine passée, comme je l’ai fait depuis que vous et moi nous sommes rencontrés.

Et dire que tout ma vie, j’ai cru les comprendre. Ces écrivains et ces poètes fous qui se jetaient sur l’encre pour rendre immortels les cœurs dont ils s’étaient épris. Et vous voilà, vous, votre joli minois et vos mots qui rendraient fou n’importe quel homme saint d’esprit. Qui me rendent fou, moi. Vous, votre joli museau et votre navire qui lentement coule, jeune capitaine. Vous, vos lèvres ajustées, et ces centaines d’autres choses qui font que vous êtes et que vous resterez unique.

N’ai-je donc jamais compris le moindre vers, la moindre strophe, le moindre poème ? Ai-je donc mal lu les écrits de ces écrivains maudits ? N’ai-je donc jamais aimé comme je vous aime en cette nuit si froide ? Mon cœur n’a-t-il donc jamais pleuré comme il le fait en vous trouvant, inconsciente et gémissante, pareille à une souris que le chat, au fond du trou, n’aurait osé achever ? N’était-ce donc qu’un leurre que de croire que vous étiez mienne plus que vous n’étiez leur ? À la bonne heure, dans votre âme je ne sais aucune laideur et à mon cœur vous demeurerez grande ennemie de la rancœur.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now