Epilogue, par Amelia Kwats

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Nous y voilà, vieil ami. Toi et moi, à la dernière page. À l'heure où j'écris les derniers mots de cette nouvelle réédition, les feuilles orangées tombent par centaines dans le petit cimetière de Nightingale où maman repose. Papa, Dieu merci, est toujours en vie, bien qu'il ait perdu son grand amour. Et même si son cœur brisé ne bat plus qu'à moitié, je sais qu'il est en paix avec cela. Je sais que c'est la bonne moitié qui bat, et que le verre est à demi plein, plus qu'il n'est à demi vide.

Je le sais au plus profond de mon être, parce qu'il n'a, depuis ce jour, jamais cessé de répéter que c'était ainsi que les choses étaient écrites et que l'on ne pouvait rien au destin. Que la vie était un voyage en train, et que parfois, l'on tombait amoureux à bord de celui-ci. Et que certaines fois, bien plus souvent hélas que l’on aime à le penser, l’être aimé est appelé à descendre quelques arrêts plus tôt, pour disparaître dans un nuage de fumée, dans une mare humaine, dans un paysage flou un peu fou.

Il a toujours le sourire aux lèvres lorsqu'il me parle de ce train qu'il a pris avec maman il y a de longues, très longues années maintenant. Il dit qu'il finira par prendre un autre train qui le conduira là où elle est descendue, et c'est peut-être la plus belle chose que je n'ai jamais entendu. J'ai toujours adoré la manière dont l'un avait de parler de l'autre. Maman elle, disait que le Docteur lui avait tendu la main depuis un tardis humain, une salle un peu spéciale, et qu'il lui avait permis de voyager dans le temps et dans l'espace, en rencontrant plein d'êtres formidables.

Papa, lui, dit qu'il l'a su, à la minute même où il l'a rencontré, qu'elle allait partir avant lui, et que c'est seulement pour lui faciliter les choses qu'il a renommé en son nom une étoile de son vivant. Qu’il avait espéré au premier regard échangé, que ce serait elle. Qu’il avait toujours voulu que ce soit elle et qu’il ne se serrait laisser aimé par aucune autre femme.

Il continue d'écrire sur elle, et il brûle ces pages pour qu'elle aussi puisse les lire. Les après-midis pluvieux, il continue à se rendre au Shake's Pear pour eux deux, et il s'assoit à leur table. Cher Lecteur au cœur probablement attendri par ces quelques pages, sache qu'ils ont bien vécu, et qu'ils ont été bien plus heureux que ne l'a jamais été le commun des mortels. Vraiment, vraiment très heureux. Et plus que tout, sache que nous t'aimerons, toujours.

Parfois, il m'arrive d'être soucieuse à ton sujet. Je suppose qu'une fois partis, tu ne tourneras plus ces pages avant quelque temps, et tu seras sûrement triste ; alors que tu ne devrais jamais l'être.

Ne sois pas triste, Lecteur. Et accomplis une dernière chose pour nous, veux-tu ? Il erre tout autour de toi des êtres dépités, aux cœurs brisés et aux pensées désarticulées. Des désespérés, des mal-aimés, des persécutés, qui attendent, nuit et jour et ce, hiver comme été. Ils risquent d'attendre un long moment, alors ils vont avoir besoin de beaucoup d'espoir. J'ai peur qu'ils ne manquent leur train et se retrouvent seul sur un quai désert, dans une gare abandonnée.

Va les trouver. Raconte-leur une histoire. Dis-leur que s'ils patientent encore un peu, un autre train pourrait bien arriver, rien que pour eux, et qu'ils doivent le prendre, même s'il en ont peur. Le train, il vaut mieux être dedans et heureux, que dessous et malheureux. Oh oui, dis-leur qu'ils verront et vaincront la Mort et la Maladie, comme l'ont fait mes parents. Ils tomberont éperdument amoureux d'un homme ou d'une femme, capable d'attendre ce qui semble être des centaines d'années pour s'assurer qu'ils soient sains et saufs.

Dis-leur que des grands noms tels que William Shakespeare, Piotr Ilitch Tchaïkovski et Vincent Van Gogh ont fondé et consolidé l'art, en puisant dans la tristesse la plus pure qu'il soit. Dis-leur que quelque part sur cette même planète où ils errent aujourd'hui sans but, un gentleman a fait croquer une pomme dans une bassine d’eau fraîche à une fille qui avait perdu le goût de vivre, et qu'ils se sont aimés plus que tout, malgré les affronts, les rechutes, les péripéties.

Elle et lui se sont battus pour qu'elle puisse affronter la vie, tu sais ? Oui, je crois que tu le sais. Elle et lui se sont battus pour qu'elle puisse éviter la mort. Pour que jamais elle ne se retrouve, allongée, bâillonnée, sur les rails de métal, d’une froideur glaciale. Elle et lui se sont battus pour écrire leur histoire, une histoire censurée avant même d'avoir été rédigée. Une histoire fragile comme la feuille conservée d'un automne passé.
Elle pourrait s'effriter, partir en poussière et glisser entre tes doigts. Pourtant, tu la gardes en main, parce que tu la trouves jolie. Fragile comme elle est. Fais-en de même avec ces personnes, parce que l'une d'entre elles pourrait bien être ton Ethan, ou ton Elizabeth. 

Dis-leur que tout est possible. Absolument tout. Que s'ils essaient de rigoler après avoir pleuré, ils créeront des arcs-en-ciel, comme dans le cœur d'oncle Lou. Et que, s'ils venaient à oser fermer les yeux ne serait-ce qu'un instant, il se pourrait que le Docteur fasse un détour, quelque part entre la Lizzy, à deux cent neuf années lumières de notre planète Terre, et l'Alpha Centauri, prêt à leur venir en aide.

Je m’appelle Amelia, juste comme ma mère aurait aimé s’appeler Amelia après avoir vu cette série qu’elle adorait et qui ne l’a plus jamais quitté. Je m’appelle Amelia, et comme Amelia Pond, je tenais à ce que mes derniers mots ici aient un impact. Je m’appelle Amelia, et je me dois de faire honneur à ce prénom que mes parents m’ont choisi. Alors, cher Lecteur, cher Docteur, deviens pour moi le plus grand des voyageurs. Va, et conte partout où tu iras nos aventures.

Dis-leur que ceci est le récit de bien des combats, et qu'une fin n'est jamais qu'un recommencement. Il suffit d'ajouter une virgule à un point, de changer de point de vue, de point de vie ou bien juste d'année, pour qu'une histoire jamais ne s'achève ;

Amelia Louise Kwats

Rendez-vous salle 209 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant