49. Adieu frangin

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“Oui, je parle des rêves, de la progéniture d’une oisive cervelle engrossée par la chimérique fantaisie, cette chose immatérielle comme l’air, plus inconstante que le vent qui va peut-être caresser maintenant le sein glacé du Nord, mais, rebuté, s’en détourne bientôt, hautain, pour sourire au Midi.”

William Shakespeare

Tout était fin prêt. Les lettres avaient été envoyées une semaine plus tôt et bien que chacun des destinataires ait eu l'envie de les contester, aucun n'avait osé le faire. Dans la clairière où elle leur avait donné rendez-vous, Elizabeth, pieds nus, avait disposé ici et là quelques roses rouges et tournesols. Mille odeurs au moins émanaient de ces milles fleurs aux mille couleurs. Ses préférées.

Quelques jours plus tôt, elle avait amené sur les lieux du crime prémédité un bidon d'essence et une caisse en bois pouvant contenir le corps d'un jeune enfant. Quelques minutes plus tôt, elle s'était rendue au lac, non loin de ce vieux chêne au tronc coupé où elle avait prévu de porter le coup de grâce, et avait relevé sur la rive l'une des barques. Cette année-ci, elle s'était vu mourir un nombre de fois incalculable dans ce lac. Son frère avait péri à un kilomètre de ce dernier, la boucle devait être bouclée, la malédiction rompue.

Dans la longue robe blanche que Madame Bardle lui avait offerte, et le ruban vert que John lui avait offert durant ses premières heures à Teaghlach soigneusement noué dans ses boucles ensoleillées, elle semblait rejouer un vieux Blanche-Neige.
Le conte, parfois critiqué et d'autres fois adulé, retraçait l'histoire d'une jeune femme à la peau pâle comme l’était la neige, s'épanouissant aux côtés d'hommes prêts à accourir pour au moindre de ses désirs. Jusqu'au jour où Blanche-Neige, de par sa jeunesse et son incrédulité, prit la mauvaise direction, emprunta le mauvais chemin. Un chemin sinueux et sans précédent qui conduisit la princesse à perdre connaissance au beau milieu d'une majestueuse clairière. Pour la délivrer de cet état, à mi-chemin entre la vie et la mort, il lui fallut recevoir le baiser sincère d'un homme follement épris, que le prince n’hésita pas à lui délivrer.

Elizabeth, ce jour-là, était donc Banche-Neige. La jeune femme n'avait pourtant besoin d'aucun prince, bien qu'elle en appréciait la dévolution et l'affection. Elle seule suffisait à sa propre survie.

《 — Grincheux, se souvenait-elle avoir entendu Ethan lui dire dans cette petite chambre, lors de leur week-end idyllique.

— C'est vrai, oui. Je suis Grincheux et tu es Prof. Bientôt nous serons Dormeur et j'espère ne plus être Atchoum. Selon Lou, je suis un peu moins Timide à chaque jour qui passe, notre amour lui, est Simplet et, ensemble, nous somme Joyeux. Walt Disney n'a qu'à bien se tenir. 》

Elle s'allongea dans l'herbe fraîche, en souriant au souvenir. Pour renaître, il fallait avant toute chose mourir, se répéta-t-elle. Pour renaître, il fallait avant toute chose mourir.

— Vincent Van Gogh, William Shakespeare, Marius Petipa, Amelia Pond, Sir Arthur Conan Doyle, récita-t-elle comme la petite fille effrayée et tapie dans l'un des coins du studio d'Ethan.

Mais si les noms récités avaient été les bons, si elle les avait prononcés dans le bon ordre et si sa langue n'avait hésité ni ne s'était trompée, la chose lui parut étrangère, inutile et même grossière.

— Ethan Kwats, Lewis O'Neill, John Smith, Jim Smith, le Père Raphaël, murmura-t-elle alors en levant les yeux au ciel. Ethan, Lou, John, Jim, et le Père. Un professeur, un garçon un peu perdu, un psychologue, un médecin et un prêtre, ria-t-elle. C'est ça, ma vie. Et si ça ne te va pas, là-haut, toi le grand puissant, alors je n'en n'ai absolument rien à faire. Rien, tu entends ? Tu ne m'en retireras plus un seul, se promit-elle en embrassant la chaîne de son frère à son cou. Plus un seul. Ni mon amant, ni mon meilleur ami, ni mon confident, ni mon oreille, ni mon conseiller. Et ne t'avises pas de toucher à ma famille. Jamais plus. La prochaine, ce sera moi. Et si tu penses à cet italien, n’y pense pas. Alessandro et moi nous retrouverons. Sans lui, jamais je ne les aurais rencontrés, et je brûlerai encore dans tes flammes, n’est-ce pas ? Parce que je suis l'ange déchu, sur le toit. Ce corps céleste et pourtant féminin, à peine plus grand que ne l'est celui d'une enfant. Celle aux ailes plus noires que ne l'est le noir lui-même, et brisées. Ton messager me l'a dit. Mais tu te trompes. Je suis un ange. Un phœnix. Un cygne. Oh, ça oui, je vole de mes propres ailes, désormais, alors ne t'avises plus jamais de te mettre en travers de mon chemin. Éclaire-moi sans me craindre, et sans plus essayer de me faire de l'ombre, parce qu'alors ma colère grondera, et Noé ne pourra rien contre ce déluge-ci.

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