45. À mes chers parents

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“On aime les filles pour ce qu'elles sont et les garçons pour ce qu'ils promettent d'être.”

Von Goethe

Papa, Maman, 

je sais qu’en lisant ces mots, vous penserez avoir mal fait avec moi. Vous penserez avoir été de mauvais parents, pas assez présents. Vous penserez être passés à côté de certains signes avant-coureurs, ou bien vous penserez avoir manqué les mois qui auraient dû s’avérer être les plus décisifs de ma vie, aveuglés par votre propre chagrin. Alors vous feriez fausse route.

C’est drôle, quand on y pense, la façon dont vous autres, adultes, aimez à nous faire croire, et ce depuis le berceau, que les plus belles années de notre vie auront lieu à l’adolescence. Que nous fréquenterons de nombreuses soirées, que nous nous ferons autant d'amis qu'il y a de grains de sable à la plage ou bien d'étoiles dans le ciel, que nous intégrerons une prestigieuse université et que nous tomberons éperdument amoureux.

À vrai dire, j’ai peut-être coché une bonne partie de ces « critères d’un bonheur oublié ». Je suis éperdument amoureuse. Oh ça oui. Et je suis entourée aussi, toujours, beaucoup. Mes amis, s'ils ne se comptent pas vraiment comme l'on compterait les étoiles dans le ciel ou bien les grains de sable, se comptent sur les doigts d'une main et cela me suffit bien, parce qu'ils sont sincères et que je sais pouvoir compter sur eux, dans les bons comme dans les mauvais moments. Ils sont ma famille. Et vous l’êtes, vous aussi. J'ai deux familles et c'est là une chance inestimable que je commence tout juste à réaliser.

Oh, bien sûr, la plupart sont bien plus âgés que je ne le suis, et j'ai tout à fait conscience que ces relations sont quelques peu atypiques. Mais elles n'auraient aucunement pu être plus saines. Mon plus proche ami est psychologue, et il approche dangereusement de la trentaine. Il est génial, absolument génial. Même s’il a un peu de mal à dire non aux sucreries. Il mange ses émotions, je crois, mais je crois aussi qu’on serait tous rendu au même constat si l’on faisait son métier. Il faut être fou pour vouloir consacrer sa vie à ceux qui se prétendent fous... ou alors, courir le risque de le devenir.

Jim, son fiancé, est incroyable lui aussi. Constamment à l'écoute, taquin, il est, pour résumer la chose, l'un de ces hommes qu’il est plaisant de simplement regarder. Parfois, lors des rechutes, lorsque celui que j'aime ne peut se tenir à mes côtés, Jim me rend visite avec un jeu de cartes ou bien un plateau d'échec. Il dégage une étrange sensation de réconfort et de sécurité que je ne saurais vous expliquer. Il a tricoté pour moi ces six derniers mois une couverture. Chaque nouvelle ligne crochetée correspond à une couleur, la couleur de l’émotion dominante à chaque nouveau jour qu’il m’est donné de vivre. Une ligne bleue pour un jour triste, une ligne blanche pour un jour de survie sans réelles émotions, et une ligne verte pour un jour heureux. Jim est comme cette tasse de chocolat chaud après une longue balade en forêt, perdu au cœur de l'hiver. On ne sait pas que l'on a besoin de lui, avant de l'avoir à nos côtés.

Et puis, il y a Lewis Stuart O’Neill. Irlandais, et drôle, bien qu’il ait traversé l’enfer à dos de dromadaire. Je n'aurais pu rêver meilleur ami. Souvent, les autres aiment à dire que lui et moi sommes jumeaux. Et j'aime à les croire. Oui, Lou est un frère. Je crois bien que John, Jim, et cet autre homme que j'aime plus que tout, me sacrifieraient pour sauver le monde, s'il le fallait. Pas Lou.

Lou sacrifierait le monde, pour me sauver, moi. Vous l'aimeriez, j'en suis certaine. Oh, bien sûr il vous faudrait passer outre ses manières quelque peu vulgaires, mais vous craqueriez pour ce sourire un peu fou qui creuse ses joues, et ses chaussures dépareillées. Lou est un enfant piégé dans un corps d'adulte, et il m'entraîne toujours avec lui dans ses bêtises. Et j'aime qu'il m'y entraîne.

Mais le plus important... Le plus important, c'est cet autre homme. Celui sans nom. La petite fleur au creux de ma main. Il a un nom, pour ce qu'il en est. Ethan désigne en hébreu un homme fort, et courageux, et Ethan est fort, et courageux. Bien plus que je ne le suis, même s'il n'aime pas m’entendre le dire. C'est la vérité. Pour moi, il a enduré nuits et jours les épisodes, les pleurs, les peurs, les batailles, les insomnies, et tant de choses que vous ne pouvez pas même soupçonner. 

Comme cette fois, où, penchée au-dessus de la baignoire, j'ai trouvé un rasoir. Je ne savais même pas que je savais en dévisser les lames, mais ce jour-là, je l'ai fait, sans même avoir à réfléchir. J'ai lutté, je vous le promets. J'ai essayé de ne pas les écouter, mais elles étaient si fortes ce jour-là. Les voix dans ma tête. Dieu merci, et je soupçonne là le Père Raphaël de m'avoir fait la préférée de celui-ci, Ethan, mon ange, m'a trouvée à temps, et a jeté la lame, loin, très loin de mon poignet. Il m'a serré contre lui, et je me suis endormie dans ses bras. C'est quelque chose que lui et moi faisons, quand les épisodes deviennent trop durs. Il me serre contre lui, et je m'endors, son corps comme oreiller, son cœur comme messager de Morphée.

Papa, Maman, votre fille est amoureuse. Et en vie, grâce à lui. Il a sauvé ma vie. Il l'a fait. Oh, bien sûr, il y a encore des rechutes, et il y en aura encore, mais ça ne fait rien, je sais que je survivrai. Quand il est avec moi, rien n’est impossible.

Dites à mon petit frère que je l’aime plus que tout, et que je reviendrai dès que possible.

Je sais bien que ce n’est pas évident et que vous n'êtes pas prêt à revenir, mais ma troupe et moi nous présenterons sur scène le trois juin prochain, et je crois que cela représenterait beaucoup de choses pour moi, si je vous retrouvais dans la salle, alors si l’envie vous en prends... Venez. S'il vous plaît ?

Oh, et je n'ai pas reçu ma lettre d'acceptation à l'université, mais il faut dire à leur défense que je ne leur en ai pas envoyé non plus. Quand bien même je venais à réussir mes A-Levels, ce qui n'est pas certain au vue de l'année chaotique que nous venons d'essuyer, je compte passer l'année à me reposer, mentalement. À écrire, aussi. Beaucoup. Tout le temps et sur tout. Je pourrai travailler comme serveuse au Shake's Pear, après tout, tout a toujours commencé au Shake's Pear. 

Traduisez mes amitiés à Emile. Je vous aime, pour l’éternité et un jour de plus encore. Désolée de vous avoir fait pleurer un océan salé ou deux depuis ma naissance, ce n’était pas mon but.

Lily.

Rendez-vous salle 209 Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang