31. Nos étoiles contraires

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À Noël je n'ai pas plus envie de roses que je ne voudrais de neige au printemps. J'aime chaque saison pour ce qu’elle apporte.”

William Shakespeare

Elizabeth était rentrée après vingt-quatre longues heures passées en observation. L’on avait conclu qu’il ne relevait là que d’un léger traumatisme crânien et qu’à ce stade-ci, seul le repos pouvait la soulager.  

À son arrivée, le seul câlin de son jeune frère suffit à l’émouvoir, et lorsqu’elle s’en alla sous la douche, sa mère, le cœur lourd, lui apporta des sandwichs taillés en triangles. Bien que la jeune fille n’eût passé qu’une journée à l’hôpital, elle gardait la désagréable impression que l’odeur de désinfection la suivait partout où elle allait. Pourtant, elle fut incapable de la chasser en se lavant. Elle se contenta d’entrer dans la cabine, de s’asseoir, et de laisser l’eau chaude se répandre sur son corps.

Une part d’elle désirait ardemment rentrer en Angleterre, s’endormir dans les bras de Lou, embrasser Ethan et écouter John lui dire que tout irait bien. Mais une autre part, toute aussi importante, souhaitait prolonger son voyage en France, s’endormir dans les bras de sa mère, embrasser son frère et écouter son père lui dire que tout irait bien.

Lorsque le ciel tourna au noir, Elizabeth se dirigea vers le jardin de cette maison aux mille souvenirs. Elle avait toujours aimé revenir en France. C’était toujours très reposant, et elle songeait déjà à revenir l’été suivant.
Ce fût avec le sourire aux lèvres qu’elle trouva la vieille balançoire sur laquelle son frère lui avait appris à compter, reconnaître et répertorier les étoiles.

 « P’us haut ! P’us haut ! Encore p’us haut ! » se souvenait-elle avoir ri à l’époque, sous le regard bienveillant d’un frère qui, un jour, l’avait poussé, plus fort, plus fort, encore plus fort, et pourtant si doucement. Elle eut un léger pincement au cœur lorsque ces images pleines de vie lui revinrent à l’esprit, mais penser à son frère ne faisait plus tout à fait aussi mal.

Nous n'avons pas eu le cœur de l'enlever, expliqua sa mère en la regardant dégager du bout de sa manche la fine couche de neige qui s'était accumulée sur la planche en bois. Nous vous y avons tellement vu jouer... Grandir... Nous n'avons pas eu le cœur de l'enlever...

— Je sais, maman... Vous avez bien fait, c’est bon de la revoir, murmura Elizabeth en s’asseyant dans un grincement significatif. Quelle chambre occupe Emile ?

— C’est encore plus bon de te revoir, sourit tristement la femme en serrant entre ses mains une tisane. Emile a choisi la chambre d’amis, c’était la seule de libre. Il n’est pas le fils que nous avons perdu, et il le sait ; c’est juste agréable d’avoir un peu de compagnie. Ton père et moi serons dans le séjour, si tu as besoin de quoi que ce soit...

— Maman ?

— Ma puce ?

— Est-ce que... Est-ce que tu pourras demander à papa de remettre un peu d’huile ? Je vais sûrement rester un peu plus longtemps que prévu et je crois... Je crois que j’aime bien cette vieille balançoire toute bringuebalante. Je m’y sens plus proche de lui, confia-t-elle en regardant le fantôme de son frère, assis sur la seconde planche.

Le visage de sa mère, dont la cadette avait hérité les yeux verts, les traits fins, les cils longs et les cheveux roux, s’illumina soudainement. Alors, avant de la quitter pour regagner l’intérieur harmonieux et chaleureux de la maisonnée, elle promit à sa fille de faire réparer le portique au plus vite. Dans le silence infini de la nuit, Elizabeth donna de petites impulsions du bout de ses pieds, et, avant même qu’elle n’eut le temps de prendre son téléphone pour appeler Ethan, Emile était là, une caisse à outils dans une main, les cinq doigts de son petit frère dans l’autre.

Rendez-vous salle 209 Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt