39. Cinquième étape : la reconstruction

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“Seuls ceux qui ont glissé et chu connaissent les vicissitudes du chemin.” 

Les oiseaux se cachent pour mourir.

Se réveiller, boire, manger, avaler ses cachets. Partir pour Wingley, se cacher, écouter. Manger. Répéter la pièce, briller, entonner. Étonner. L’embrasser. Suivre sa thérapie, regretter, espérer, ne pas pleurer. Rentrer, laver ses pensées, rincer ses péchés, faire ses devoirs, l’embrasser. Écrire avec lui. Écrire sur lui. Écrire pour lui. Pour eux deux. Préparer le repas, l’embrasser, manger, avaler ses cachets. Regarder un épisode, deux épisodes, un film. L’écouter lire, l'embarasser, l'écouter rire, l’embrasser, s’endormir. Rien ne ressemblait davantage à une journée qu’une autre journée. 
      
 — Parce qu’il n’y a rien de plus beau ici-bas, que la poésie passionnée. La fragrance très précise émanant d’une feuille de papier tachée de café. Une femme ou un homme, à vos côtés. Les vers que seul un partenaire peut vous inspirer. L’amour... les jeunes. L’amour. Aimez. Vivez. L’on vous dira tout au long de votre vie que vous êtes trop jeune pour penser par vous-même. C’est un leurre. Si vous n’avez pas l’étincelle, alors vous n’aurez pas la flamme. Mon étincelle à moi fut un vieux livre que m’a légué mon professeur de littérature alors que j’étais à peine moins âgé que vous ne l’êtes. Et ma femme... Flamme, joli lapsus mais je voulais dire flamme, c’est l’homme que je suis, passionné, et...

— Amoureux ? osa demander l’une des élèves. Désolée, je ne voulais pas...

— Ne le sommes-nous pas un peu tous, dans le fond ? Que les sentiments soient réciproques ou non est un tout autre problème, mais j’aime à croire que nous sommes tous un peu amoureux, répondit-il en essayant de dissimuler son sourire sans regarder sa bien-aimée. Au moins de la vie. À présent, déchirez ce livre. Sélectionnez quelques pages, arrachez-les, et faites passer votre victime à l’un de vos camarades. Aujourd’hui, nous innovons. Nous faisons de la médecine. De l’art. Une autopsie.

— Monsieur, est-ce que... Vous êtes sérieux ? Je veux dire… Sérieux, sérieux ?

— On ne peut plus sérieux, répondit un Ethan taquin en tendant à cette même jeune fille un roman.

Celle-ci hésita un court instant, l’ouvrit en son centre, et tira timidement sur l’une des pages.

— Une seule page ? Allons, êtes-vous bien certaine de vouloir consoler une orpheline ?

Elle le reprit, ferma ses yeux, et arracha d’un même coup douze ou treize pages. Tous retinrent leur souffle. Tous, à l’exception près de l’enseignant. L’ouvrage se vit passer de mains sales et tremblantes en mains moites et inexpertes, avant de se faire éventrer et vider de ses organes internes. Le pauvre n’eut pas même le temps de pleurer qu’il en était déjà mort, ses boyaux et ses tripes exposées aux yeux de tous sur la table froide.

— Je n’arrive pas à croire qu’un professeur de littérature nous demande de disséquer un livre, c’est tellement...

— Irréel ? Anticonformiste ? avait demandé le professeur, sans en perdre son énigmatique sourire.

— Pourquoi ? Pourquoi nous demander de...

— De quoi traite ce livre, monsieur Jones ?

Le jeune garçon l’ignorait. Aucun des adolescents ne le savait. Alors, tous lurent une page ou deux. Toute une partie, pour les plus téméraires. Et, comme avec un puzzle, ils assemblèrent les pièces, confrontèrent leurs conjectures, firent concorder les coins et les déchirures et accordèrent leurs violons, sans jamais avoir à solliciter son intervention. L’homme, le poète, le sadique, peut-être même, avait volontairement repeint en noir la couverture et arraché la page où avait été inscrit le titre.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now