8. La reine baisse sa garde

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"Le cœur d'une femme est une partie des cieux, mais aussi, comme le firmament,  il change nuit et jour."
Lord Byron

Cela faisait deux jours qu’Elizabeth avait quitté l’hôpital. Trois jours qu’elle n’avait plus eu de nouvelles d’Ethan. Il lui manquait et pourtant, elle ne souhaitait pas le revoir. Elle ne devait pas le revoir. 

— À quoi penses-tu, ma petite Elsie ? lui demanda le Père Raphaël en déplaçant son cavalier sur une case noire.

— Je crois que je suis en train de mourir, mon Père. 

L’ecclésiaste sentit une boule se former en son larynx. Savait-elle des choses, ou bien n’était-ce là qu’un peu d’anxiété mal dirigée ?

— Tu as eu peur à l’hôpital, moi aussi, mais cela n’a duré qu’une nuit. Ils ne t’auraient pas laissé repartir s’ils pensaient que tu allais mourir. N’y pense plus, veux-tu ? Tu ne vas pas mourir.

Le prêtre ne sut plus dire si sa jeune protégée avait sept ans ou bien dix-sept, en la voyant prendre entre ses doigts l’une des roses qu’il lui avait offert quelques heures plus tôt.

— Les roses piquent, mon Père, ne piquent-elles pas ? lui demanda-t-elle innocemment. J’étais une danseuse avant, n’est-ce pas ? C’est pour cela, que mon genoux me fait mal. Et ces voix, sur scènes, n’en n’étaient pas. C’étaient des souvenirs, ai-je tort ?

— Tu n’étais pas une danseuse, mais un cadeau du ciel, qui flottait gracieusement dans les airs, sourit-il en se remémorant les pas favoris de l’adolescente. C’était comme si le sol t’était parfaitement inutile, et que ton squelette était fait de plumes. De centaines de plumes, subtiles et légères… Elizabeth, je t’ai vu grandir ces quinze dernières années ; parle-moi, je t’en prie. Je n’aime pas te voir ainsi. 

— Eh bien, pour commencer, je suis constamment fatiguée. Et puis... Je n’ai plus d’appétit. Vous devriez voir l’état de ma brosse, je perds mes cheveux par poignées. J’ai mal aussi, un peu partout. À la tête, surtout. Ma tête me fait toujours mal... Et mon ventre aussi, parfois. Mais je crois que mon plus gros ennui reste cette envie irrépressible de dormir... beaucoup. Des jours, peut-être même. Oh mon Père, si vous saviez comme j’aimerais pouvoir m’endormir, confia-t-elle penaude en balançant ses jambes dans le vide.

L’on frappa à la porte, et tous deux se regardèrent, bien embêtés. Si ce n’était lui, Elizabeth ne recevait jamais de visite.

— Je ne crois pas que tu en mourras, rassure-toi, lui dit-il en se levant. Néanmoins, je ne démentirai pas le fait que ce puisse être grave. Je crois que ton corps essaie de t’envoyer un message, il est épuisé. Tu devrais prendre quelques jours pour toi. Pars en France, retrouve ta famille.

Il avait fallu au professeur trois couchers et trois levers de soleil pour trouver le courage de venir frapper à la porte de la onzième maison de Crewdhills Street. Il avait suffi que son élève manque à l'appel trois jours consécutifs pour qu'il n'en réponde plus de lui-même. Comment était-il arrivé devant chez elle ? Là n'était pas la question. Plus il y songeait, moins l'acte qu'il s'apprêtait à commettre ne lui semblait justifié. Mais Ethan en avait cœur, plus qu'il n'en avait cure. 

— Mon Père ? entendit-elle depuis le salon. Je suis désolé de vous déranger, je pensais Elizabeth seule.

— Votre visite lui fera plaisir, j'en suis certain, le salua-t-il chaleureusement en serrant sa main avant de regagner l'intérieur de la demeure, le laissant sur le palier, dans un entrebâillement peut-être plus clos qu'ouvert.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now