41. À celui qui m'a élevée

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“Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n'y a pas de signalisation.”

Ernest Hemingway

Papa,

L’heure des adieux a sonné, comme vos cloches ont sonné tant de fois le glas en l’honneur de tant d’autres défunts. Pour mon frère. Pour Will. Et parce que je vous aime comme j'aurais aimé un second père, j’aimerais que vous soyez là le jour où l’on enterra avec une partie de mon âme bien des souvenirs.

Enfilez une chasuble et laissez-la vous rappeler, dans deux ans, vingt peut-être, que vous avez été présent et m’avez accompagnée dans l’un de mes derniers voyages. Restez fort, parce qu'à l'heure où je couche pour vous ces mots, j'ai l'esprit tranquille. La main tremblante, mais sûre. L'esprit empli de pensées, mais tranquille. Je suis en paix, mon Père, et la peur n'est plus.

Je pourrais vous dire comme je vous aime et comme je vous suis reconnaissante d'avoir éloigné du vide cette jeune enfant qui courait après un drôle d'oiseau, mais je ne suis pas certaine d'avoir les bons mots et ce serait bien trop maladroit de ma part. Je n'aime pas l'idée de vous blesser plus que je ne le dois et je sais, au fond de moi, que vous savez pertinemment, au fond de vous, comme ces mots sont sincères.

Je ne sais plus très bien s'il s'agissait là d'une mouette ou d'un pigeon, mais je sais que ce jour-là, vous avez serré cette enfant aux bottes rouges si fort dans vos bras, qu'elle n'a plus osé les quitter ; jamais. Merci. Merci de m'avoir élevée, et aimée. Merci d'avoir posé sur mes épaules deux mains tutélaires et la protection d'un père. Merci de m'avoir appris à lire et à écrire. Merci d’avoir été, et d’être encore à ce jour, un homme sur qui je sais pouvoir compter. Merci de m'avoir appris à aimer et à croire.

Et s'il est vrai que vous vieillissez, nous le faisons tous, je veillerai sur vous. Toujours. Que je me trouve sur Terre, en mer ou bien dans les airs, je veillerai sur vous. C'est à mon tour de le faire. Ne l'est-ce pas ?

Ce n’est là pas même l’ombre d’une lettre de suicide, et, s’il est vrai que cette missive semble en prendre la forme, sachez que je ne compte pas me donner la mort de ci-tôt. Bien des promesses m’en empêchent, à commencer par celle que je vous ai faite lorsque vous avez plongé pour me sortir de l’eau en juillet dernier. 

Est seulement venue l’heure des adieux, dévotieux, capricieux, précieux, joyeux et non-obséquieux. Avec vos plus belles prières, au cœur de la clairière où vous avez cru m’enterrer ; trois-cent-soixante-cinq jours de sursis accordés. Ce cinq juin prochain, à quinze heures quinze.

Avec toute la sympathie que vous me connaissez, et toute la gratitude que je vous dois,

 Votre Elsie.

Rendez-vous salle 209 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant