24. Champion le petit poisson

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"Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d'une âme qu'au fond d'une mer."

Victor Hugo

Les femmes se pâment pour une pomme, tandis que les hommes tendent leurs paumes ; retrouve-moi je te prie à la roseraie, à l'heure où nous autres buvons le thé. Comme toujours, en toi je pourrai lire, et en moi, tu verras un Shakespeare, alors joins pour moi ces petites mains, et joins-toi à moi, demain.

Elizabeth ne pouvait soustraire son regard de la lettre qui lui avait été transmise en amont dans la journée. Elle n'avait plus revu le beau propriétaire de ce petit studio sur Hawley Street dans lequel elle avait autrefois trouvé refuge, depuis un mois maintenant. Si tout pourquoi avait un parce que, chacun des pourquoi de la belle anglaise trouvait en Ethan Kwats le parce que dont il était question.

Alors, patiemment, assise en tailleur au beau milieu de ce lit que l'on avait fait sien, elle lisait et relisait la missive, un sourire un peu enfantin accroché au bout des lèvres. Sans s'en lasser. S'en l'enlacer. Elle en aimait jusqu'au tracé des mots, jusqu'aux boucles délicates que formaient ensemble les lettres en se liant les unes aux autres. Il souhaitait la revoir.

Elle et lui, tout en se trouvant l'un et l'autre dans deux quartiers opposés d'une même ville, partirent s'étendre sous leurs draps, au même instant. Pour être exact, leurs deux corps furent couverts à l'exacte même minute. Mais ce n'était pas là le plus étrange, non. Car s'ils s'étaient décidés à rejoindre les limbes du sommeil de façon tout à fait conjointe et simultanée, ils s'étaient de surcroît retrouvés contrariés des mêmes incertitudes.

Et si elle ne venait pas ? Et si elle ne l'aimait plus ? Et s'il était trop âgé ? Et si lui, avait regretté et qu'elle gagnait la roseraie, seule ? Et s'il ne l'aimait plus ? Et si elle était trop jeune ? Et si l'on venait à les surprendre ?

— Princesse ? Je peux dormir avec toi ? chuchota Lou en passant sa tête par l’embrasure de la porte. Je n'ai pas envie de dormir seul ce soir ; ces putains d’orages jouent avec moi. Ils me testent.

Elizabeth souleva sa couverture et tapota la place qu'elle venait de lui faire, soulagée de le retrouver. D'échapper aux regrets d'événements qui ne s'étaient pas encore déroulés. Lewis Stuart O'Neill, qui provenait d'un petit village nommé Mullingar, dans le comté de Westmeath, arrivait toujours lorsque débutaient les pensées amassées. Elle ne l'en remercierait jamais assez. Il emplissait le vide dans son lit. Dans cette pièce qui était sienne. Dans sa vie, peut-être, aussi. Son large sourire à toute épreuve et son fort caractère réchauffaient bien les deux cœurs écorchés.

Elle le laissa être la petite cuillère, cette nuit-ci, et, ayant plein accès à son dos, commença à y tracer des lettres, qui formèrent des mots. Lou les devina, et son attention se focalisa sur elle, sur ses doigts, sur ses mots, sur sa magie. Il s’endormit en quelques minutes à peine. Comme il l'aurait fait, si la pluie ne tombait plus sur les vitres, et que la foudre ne frappait plus le sol. 

Cette nuit-ci, pourtant, alors même qu'elle se trouvait être bercée par la mélodie de l'orage qu'elle appréciait tant écouter, Elizabeth ne put trouver le sommeil. Elle était bien trop excitée pour cela. Elle songeait à son Ethan. Et son Ethan songeait à elle. Il se remémorait son odeur, presque effacée de l'oreiller. Elle se remémorait le son de sa voix, inaltéré et blottit encore en son esprit. Il avait dans la pulpe de ses doigts la douceur ancrée en lui de sa peau de soie. Elle avait dans la bouche le goût de leur péché dernier.

Rendez-vous salle 209 Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt