29. Sous l'eau c'est le néant

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"Si vous traversez l’enfer, continuez d’avancer.”

Winston Churchill

Blancs.

Entre les jours bleus malheureux et les jours verts ouverts, il y avait les jours blancs. Elizabeth, en ces temps-ci, se sentait comme un ciel prêt à déverser sa neige ; pas suffisamment chargée pour déverser le trop plein de ses émotions, pas suffisamment calme non plus pour s'en éclairer.

Les jours blancs, Elizabeth se sentait le cœur bloqué entre deux états. Les jours blancs, Elizabeth repensait au vieux discours du jeune professeur qui avait, de biens longs mois en amont, su affirmer un pouvoir inhérent à certaines vies seulement. Celui de s’éterniser. Celui de se retrouver, du jour au lendemain, suspendue dans le temps. Celui qu’Elizabeth avait depuis quelques heures déjà.

Plus encore qu’électrocardiogramme, elle était de glace, de grâce, stalactites et stalagmites. Stalactites-tites tombaient, lorsque stalagmites- mites montaient. 

— Mon ange ? Je suis rentré. Brrr, le froid est saisissant ! énonça joyeusement Ethan en entrant dans la chambre d’Elizabeth. J’ai envie de danser, tu veux danser ? Je sais que la journée n’a pas été facile pour toi, nous pourrions peut-être sortir ? Nous n'aurions qu'à faire un crochet au Shake’s Pear, avec Lewis, avant d’aller au cinéma, qu’en dis-tu ? Hm, à ce sujet, déglutit-il en se brûlant avec le chocolat chaud que Madame Anil venait de lui servir, comme la tempête a fait le tri au sein de mes collègues et que seule une poignée d’irréductibles élèves a réussi à braver le froid pour venir s’instruire, j’ai renoncé à l’idée de faire classe ; nous avons mis Le Cercle des Poètes Disparus. Tu m’as manqué, j’aurais aimé que tu sois là. Il y a deux jours à peine nous étions sur la plage, et maintenant la ville toute entière est mise sous cloche, c’est à peine croyable. Mon ange, j’entends l’eau couler, est-ce que tout va bien ?

Il y eut un blanc. Alors, il repensa à cette conversation pour le moins étrange qu’il avait eu à Wingley.

« — M’sieur ? Est-ce qu’Elizabeth va revenir à Wingley ?
 
— J’ai bon espoir oui. Puis-je me permettre de demander la raison à cette question ?

— M’sieur, nous connaissions l’ancienne Elizabeth, mais elle... Je veux dire, nous étions ensemble à la p’tite école, mais ensuite... à la rentrée, on aurait dit un fantôme, c’était flippant à voir. Vous avez vu ses yeux ? Ils étaient vides. Elle est dev’nue amie avec l’italien, mais ensuite il est parti et elle n’est pas revenue depuis des semaines. Y’en a même qui ont dit qu’elle était chez les fous et qu’vous étiez son frère... Est-ce que c'est votre sœur, m’sieur ?

— Votre camarade n’est pas chez les fous, je puis vous l’assurer. Et je ne suis pas son frère. Nous sommes amis, c’est vrai, et il m’arrive de prendre de ses nouvelles, oui. Aussi, je puis d’ores et déjà vous annoncer son retour, qui devrait avoir lieu après les vacances. L’année a été particulièrement éprouvante pour elle, alors je compte sur chacun d’entre vous pour essayer de l’inclure au mieux à son retour.

— La pauvre, ses parents sont morts dans un accident l’été dernier, avait-il entendu chuchoter au fond de la classe un peu plus tôt dans la journée.

— Écoutez, si des bruits de couloir devaient circuler à ce sujet, alors même que ceux-ci ne vous concernent en aucun point, j’aimerais autant qu’ils soient avérés. Elizabeth a perdu un membre de sa famille dans un accident de voiture, c’est vrai, oui. Il s’agissait de son frère et la chose l’a profondément affectée, c‘est la raison pour laquelle elle se trouve actuellement à Teaghlach, où elle se repose et continue de suivre ses cours pour préparer au mieux ses examens, juste comme vous le faîtes. Je suis bien conscient que son absence suscite certaines interrogations, et elles sont tout à fait légitimes, mais vos messes basses ne lui seront d’aucune aide. Alors, si vous voulez parler d’elle, allez-y. Faites-le. Posez vos questions et j’y répondrai du mieux que je le pourrai. Mais ensuite, taisez son nom et prenez votre livre à la page trois-cent quatre-vingt-quatorze. S’il vous plaît. »

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now