33. Le drôle de Noël de Mr. Scrooge

615 41 128
                                    

“L'âme trouve son repos en dormant peu, le cœur dans le peu d'inquiétudes et la langue dans le silence.”

Platon

— Quel Noël préférez-vous ? Passé, présent, ou futur ? 

Au réveil d’Elizabeth, il faisait si sombre au sein de la petite chambre, qu’en regardant depuis son lit, elle ne put voir plus loin que ne le lui permettait la faible aura lumineuse que dégageait la bougie, aux trois-quarts consumée. Elle chercha du regard l’horloge, et l’horloge la trouva. Douze coups résonnèrent. Douze ? Impossible, il ne pouvait être minuit. Il ne pouvait être midi.

— Quel Noël ? Choisissez. Passé, présent, ou futur ? la pressa-t-on. Je choisirais le Noël passé, si j’étais vous. Bienheureux, chaleureux, et avec votre frère. N’aimeriez-vous donc pas le revoir, votre cher frère ?

Elle se redressa, s’assit et le vit. Son visiteur surnaturel. Sa visiteuse surnaturelle, si l’on en croyait sa longue chevelure couverte de flocons ondoyant autour de son visage. C’était là une femme. Une très belle femme, livide et, il fallait le reconnaître, d’une curieuse opacité. Il émanait de sa simple présence une froideur qui fit frissonner la jeune Morgan. Elle portait une interminable tunique d’un blanc immaculé, ornée de centaines de cristaux glacés, eux aussi, molécules d'eau excitées et gelées. La créature, au premier regard du moins, respirait la tendresse d’une mère et la douceur d’une vieille amie.

— Je dois être en train de rêver, jura Elizabeth en regardant Ethan endormi à ses côtés. Je dois être en train de rêver... Ou alors... Ou alors j'ai oublié mon traitement. Vous n'êtes pas vraiment là, vous n'existez pas, je...

Elizabeth avait déjà vu des esprits, elle avait vu et revu celui de son frère, elle avait même dansé avec celui-ci, une fois ou deux. Mais son frère immortel avait gardé l’apparence de son frère mortel. Il avait conservé sa peau beige, ses yeux verts, et ses cheveux bruns. Elle, en revanche, portait le linceul de la mort pour unique couleur et Elizabeth se refusait à croire en ses yeux qui lui faisaient, de toute évidence, défaut.

— Je suis le Fantôme des Noël passés et futurs. Le vôtre, du moins. Celui de ce bon vieux Dickens m’était bien différent et...

— Scrooge... comprit Elizabeth. Je ne suis pas Scrooge. Je suis aimée et j'aime. J'aime Noël, je n'ai... Je n'ai toujours voulu que le bien autour de moi.

— Ce bon vieil Ebenezer me vole la vedette, une fois encore, soupira l’Esprit d’une voix singulièrement harmonieuse et calme. Ma main, dit-elle en la tendant à Elizabeth.

— Ma tête... Est-ce que... Est-ce que c'est ma tête ? Est-ce qu'ils ont omis quelque chose à l'IRM ? Est-ce que je vais mourir ? Ou alors... Ou alors... Suis-je déjà morte ? Je ne peux pas être morte, Ethan, et Lou, et John et Jim et mes parents et...

— Passé, présent, ou futur ?

Elizabeth aurait aimé connaître son futur. Mais bien plus encore, elle souhaitait revoir son passé. Sa famille unie. La dinde au centre de la table. Les crackers craquer au son des rires. Les chorales de Noël frapper de porte en porte. Pourtant, ce fantôme, s’il en était effectivement un, ne pouvait lui apporter ni la connaissance d’un futur plausible, ni le souvenir d’un passé paisible. Un rêve, ce n’était rien de plus qu’un rêve. Et celui du dix-neuvième siècle était infiniment plus plaisant.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now