46. À la future moi

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“I know what this is. It's just myself, talking to myself, about myself.”

Peaky Blinders

Cher journal, cher passager d'une génération passée ou future ayant trouvé ces mots à l'aide du T.A.R.D.I.S, cher je-ne-sais-qui désireux de connaître mes plus intimes pensées et finalement, surtout, si j'osais, chère moi du futur. Ton tour est venu, semblerait-il. Que penses-tu de ça, hm ? Le plan était d'envoyer une lettre à chacune des personnes qui comptaient à tes yeux, alors il était logique que toi aussi, tu en reçoives une, tu ne penses pas ? Après tout, c'est ta vie. Ton histoire. Et la première personne qui devrait compter à tes yeux, c’est toi. Tu devrais être ta propre priorité et je ne le comprends qu’à présent. Désolée, d'avoir mis si longtemps.

À l’heure où tu lis ces mots, tu as vingt-cinq ans. À moins bien sûr que tu ne m'aies oublié, auquel cas, eh bien, tu me liras quand tu me liras. Mais le fait est que tu en as actuellement vingt-cinq ; au moins. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce sera dans une éternité, mais peut-être, sûrement même, est-ce simplement demain. Dire que tu ne voulais pas même passer ton dix-huitième anniversaire... Tu en as fait du chemin, en as-tu seulement conscience ?

J'espère que tu es encore de ce monde, pour être honnête. S'il te plait, peu m'importe le pays ou les bras dans lesquels tu te trouves en ce moment-même, respire. Respire encore, parce que j'ai encore besoin de toi. Il faut que tu restes en vie, je t'en prie. Parce que la vérité, c'est que j'ai peur. J'ai vraiment, vraiment peur de mourir.

Mais à l'heure où je t'écris ces mots, tremblante et seule, assise au bureau de mon ancienne chambre où la lumière peine à m’éclairer sans vaciller, je suis vivante. Bel et bien vivante. Belle est bien vivante. Désolée, tu sais que je n'ai jamais su résister bien longtemps à un mauvais jeu de mot.

Alors voilà ; je me suis laissé une marge de sept précieuses années, pour être certaine d'avoir eu le temps d'accomplir quelque brillantes choses dans cette vie qu'est la nôtre. Cinq n’auraient probablement pas été suffisantes, dix, bien trop longues à attendre. S’il te plait, ne me déçois pas. Prends soin de nous.

Est-ce qu’ils sont toujours dans ta vie ? Est-ce que John continue d’aider des jeunes comme nous l’étions hier à Teaghlach ? Est-ce que Jim et lui ont réussi à avoir un enfant ? Est-ce qu’ils t’ont appris à jouer du piano ? Tu as toujours voulu apprendre à jouer au piano, au grand dam de ton amant qui préfère à cela les cordes et le bois. Il est grand temps de recommencer à accomplir certains de tes rêves, tu ne crois pas ?

À ce sujet, tu te souviens de cette fois où il est tombé malade, et où tu as pris sa guitare pour apprendre un morceau alors qu'il dormait ? Internet expliquait bien, mais c'était... Pitoyable ? Misérable ? Désastreux ? Il s'est réveillé, doucement, a écarté de tes mains l'objet de torture, et t'a embrassée pour te faire taire. Ce jour-là, tu t'en ai voulu de ne pas avoir réussi, parce que tu brûlais d'envie de faire pour lui ce qu'il avait fait tant de fois pour toi. Il l'a vu, à la manière dont est ressortie cette petite ride au milieu de ton front, et à la manière dont tu as tue tes mots. Alors, un peu plus tard dans la journée, il a pris sa guitare et te l'a joué. Ce morceau-ci. Le vôtre.

C'était Look after you, de The Fray. Tu repenses à ce jour-ci à chaque fois que tu l'entends à la radio, et lorsque tu es triste, tu t'endors en la réécoutant.

En le regardant, si concentré, la voix enrouée et fatiguée, ses doigts sûrs dansant sur le manche, tu as fait cette tête, celle que tu fais toujours quand vous vous montrez combien vous vous aimez, sans avoir à utiliser le moindre mot. Alors, il a rigolé, et il a commencé à te chatouiller. Tu es si facile à faire sourire lorsqu'il est là. Et il aime ton rire plus que tout, alors il essaie toujours de te le voler. Il te l’a promis un jour. Il a promis de toujours te faire rire.

Je ne saurais dire lequel de vous deux est le pire, lorsqu'il est malade. Ni lequel est le plus têtu. À vrai dire, je ne saurais pas même dire lequel est le plus amoureux. Mais je sais que tu l'aimes, et qu'il t'aime. Et qu'un jour, vous aurez de magnifiques enfants. Il adore les enfants.

Est-ce que Lou est toujours là ? Est-ce que vous vous en êtes sortis, tous les deux ? J’ai si hâte de voir de quoi demain sera fait. De nous voir, à l’université. Il sera probablement cet étudiant tout sauf responsable ; il faudra que l'on veille sur lui. Il a besoin que l’on veille sur lui, même s’il ne l’avouera jamais véritablement.

Si jamais tu l’oublies, regarde ton poignet et souviens-toi de ce curieux garçon aux ongles peints, aux bonnets chauds, aux pulls trop grands et aux chaussures dépareillées qui ne demandait qu'à dormir près de toi. Qui était la grande cuillère, sauf les nuits d'orages, parce que les nuits d'orages, il avait besoin de se sentir aimé et rassuré. D'être la petite cuillère. Ta petite cuillère à toi. Regarde Ringo, posé sur ton étagère je l’espère, et souviens-toi de ne jamais, jamais laisser tomber un garçon comme Lou. Appelle-le Peter Pan, il aime ça. Et encourage-le à continuer la photographie, il est doué.

En parlant de talent, est-ce que tu as continué l’écriture ? Tu aimes écrire, alors même s’il t’arrive de perdre confiance en toi ou pire encore, de vouloir baisser les bras, continue. Souviens-toi de pourquoi et de comment tu as commencé, parce que tu reviens de vraiment, vraiment très loin. Le jeu en vaut la chandelle. J’espère que Rendez-vous salle 209 est terminé désormais, le monde a besoin de savoir que l’amour n’a pas de limites, de frontières ni de digues. Pas d’âge, ni même de sexe.

J’ai vu deux hommes s’aimer plus que ne le feront jamais un homme et une femme qui essayeront pour essayer, et j’ai vu un autre homme brisé d’avoir perdu le sien. Quant à moi, nous, nous l’avons lui. Je n’ai plus vraiment d’inquiétude à ce sujet, je sais qu’il sera présent dans mon futur. Il aime les petites choses brisées. Il les prend au creux de ses mains et les protègent au creux de son cœur.

Aime-le. Rappelle-le lui chaque jour, parce qu’il a peur de te voir partir. Laisse-le baiser ton front, et chatouille le bout de son nez avec le tiens. Invente des mots, et fais-lui la lecture. Laisse-le te faire la lecture. Faites-vous la lecture. Faites-vous l’amour, aussi, aussi souvent que l'envie vous en prend.

J’espère que papa et maman vont bien et que tu continues de leur rendre visite de temps à autres. Peut-être sont-ils revenus à Wibstorm ? Je ne leur en voudrais pas d'être restés en France. Alors, j'aurais toujours une place où m'asseoir, sur une vieille balançoire grinçante au fond d'un petit jardin où il pleut la majorité de l'année. Je veux juste qu’ils soient heureux, tous les trois.

Joue avec lui. Il a besoin d’un modèle à suivre, juste comme nous avons-nous même eu besoin d’un modèle à suivre. Boucle la boucle. Apprend à apprendre et aime à aimer. Apprends-lui aussi à lâcher prise et à faire quelques bêtises pour rire. Aide-le à se souvenir de l’étoile qui veille sur nos têtes.

Et s’il devient un peu trop dur à l'adolescence, parce que les garçons le deviennent généralement lorsqu'ils arrivent à un certain âge, envoie-le au Père Raphaël, il saura le remettre dans le droit chemin.

Peut-être lui racontera-t-il la légende de Wibstorm, ou bien, peut-être lui en inventera-t-il une. N’oublie pas de donner de l’amour à Buddy, c’est un bon chien. Chasse les fantômes, mais ne perds pas de vue les souvenirs. N'hésite pas à prendre des jours de pause, aussi souvent que tu en ressens le besoin. Assis-toi, allume la télé, trempe tes bâtonnets de poisson dans un bol énorme de crème anglaise, et fais comme tu as toujours fait ; apprends les leçons que le Docteur essaie en vain de rentrer dans ta petite tête.

À dans presque sept ans,

La toi de dix-huit ans, cinq mois, et des poussières. 

PS : Si tu es professeure, si c'est toujours ce que tu veux faire et que tu es en train d'accéder à ce rêve-ci, alors... Rendez-vous salle 209. 

Elizabeth.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now