9. Le fou n'est pas qu'un pion

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“J’appris, à la même période, que tout ce qu’on abandonne, bon ou mauvais, laisse un sentiment de vide. Mais si c’était quelque chose de mauvais, le vide se comblait tout seul. Dans le cas contraire, il fallait trouver quelque chose de meilleur pour refaire le plein.”  
Hernest Hemingway

— Ethan ?

Elle l’avait fait. Elle avait composé son numéro. Elle l’avait inscrit quelque part dans son téléphone. Ethan se demanda sous quel nom elle l’avait fait et, après coup, pourquoi elle l’avait fait. Au vu de leur conversation quelques heures plus tôt, ce ne pouvait être pour une simple visite de courtoisie. Était-il arrivé quelque chose ? Qu'allait-elle lui annoncer par téléphone ? Qu'annonçait-on par téléphone ? Les mauvaises nouvelles qui ne pouvaient guère attendre une rencontre faite de chair.

— Elise ?

— Mon oncle... Mon oncle ne décroche pas, et il y avait votre numéro et votre message et...

— Calme-toi. Respire et explique-moi le plus simplement possible ce qu'il s’est passé. Tu peux me faire confiance.

— Je... J'ai confiance en vous. Toujours. Ça recommence. Je… ça recommence. Ma tête, tout est dans ma tête. Je... je ne sais plus... Je sais que je suis chez moi, mais je n'en ai pas l'impression. Tout m'est à la fois imparfaitement familier et... et parfaitement inconnu. Je crois que j'ai dormi, je crois... Je crois me souvenir de votre venue... Êtes-vous venu ? Qu'avons-nous fait ? Ils grignotent ma lumière, je ne veux pas sombrer... J'ai chaud, si chaud, et mon corps, je ne sens plus mon corps... Ma tête va tomber... Je ne veux pas que ma tête tombe... Inquiète est la tête qui porte la couronne... Vous aviez raison, vous aviez raison depuis le début... Je ne vais pas bien. J'ai besoin d'aide ; aidez-moi, si vous... Si vous tenez toujours ne serait-ce qu'un peu à moi, alors aidez-moi, je vous en prie... reprit-elle avant que la conversation ne soit coupée.

Il n’en fallut pas plus au professeur pour prendre la route sur les chapeaux de roue. Dieu merci, Elizabeth, n'était pas là pour le voir, depuis le poste conducteur, envoyer un message de détresse à John. 

— Elizabeth ? l’appela-t-il en poussant la porte d’entrée.

Il la chercha. Il piétina sur place et, la boule au ventre, il tritura ses pauvres doigts. Il avait un mauvais pressentiment. Le rez-de-chaussée était désert. Il l'appela. Encore et encore. Plus fort, toujours plus fort. Il hurla son prénom, dans le vide. Elle n’avait pas été elle-même au téléphone. Écho, écho, écho. Mille pensées l'envahirent à son sujet. Ce qu'il s'était produit après le théâtre avait pu recommencer. Ou bien ce qu’il s’était passé à l’anniversaire de John. Peut-être avait-elle perdu connaissance. Peut-être était-ce même pire encore. Personne ne s'en serait aperçu. 

— Elizabeth ?! s’époumona-t-il en montant deux à deux les marches de l’escalier.

Dans sa chambre, enfin, il reprit espoir. Quelque part dans les murs, pareil à un murmure, courait la folle partition de ce qui devait être le plus célèbre de tous les ballets. Le Lac des Cygnes, de Tchaïkovski.

— Elizabeth, est-ce que tu es là ?! crut-il devenir fou à répéter dans le vide.

Alors, il vit la porte aux couleurs du Tardis, la poussa du pied, mi-curieux, mi-inquiet de découvrir ce qu'il pouvait se cacher derrière, et la trouva, amorphe, étendue au sol, une poche de glace sur le genou. Dans une bibliothèque secrète. Son jardin d’Eden. Il tâta le mur extérieur, trouva l’interrupteur et laissa la lumière lui révéler le corps grisâtre d’Elizabeth. Sur sa main gauche, un bleu violacé témoignait de la présence d’une intraveineuse que l’on avait due lui poser à l’hôpital. Il prit son pouls, maladroit, et s’il ne sut le lire, il comprit du moins qu’elle était encore en vie. Il ignorait ce geste qu’il venait d’avoir. Peut-être, au fond de lui, avait-il déjà comprit.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now