27. Les rêves éveillés

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“Je ne sais où va mon chemin, mais je marche mieux quand ma main serre la tienne.”

Alfred de Musset

À son réveil, Ethan était seul et, pendant un instant, il crut avoir rêvé leurs retrouvailles idylliques. Mais alors il ne reconnut pas sa chambre. Il ne reconnut pas son studio. Par la fenêtre, il ne reconnut plus ni Hawley Street, ni Wibstorm. Son oreiller avait encore la forme de la tête de sa bien-aimée. Non, Ethan n'avait pas rêvé.

En passant nonchalamment sa main dans ses cheveux, il vit que le carnet d'Elizabeth manquait, lui aussi, à l'appel. À la place de cela, il trouva une feuille pliée soigneusement en son milieu. Son écriture italique suffit à le rassurer. Paradoxalement, la rondeur de ses voyelles l’inquiéta. Avait-elle pris la fuite ?

Je ne voulais pas te réveiller, tu ne peux pas savoir comme il est bon de se réveiller dans tes bras et de te trouver endormi. J'aurais juré avoir rêvé la nuit dernière, mais il arrive parfois que les rêves deviennent réalité, n'est-ce pas ? Que disais-tu des rêves, déjà ? Je crois me souvenir que tu citais Oscar Wilde. “'La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit”. C'est là l'une des premières notes que tu m'as laissées et Wilde est ma dernière obsession, alors je crois pouvoir affirmer que c'est tout à fait pertinent. Tu me l'as laissée le jour où je t'ai demandé de partir alors que je te voulais tout près de moi.

Tu as écrit qu'un jour, peut-être, nous pourrions devenir amis. Pourtant, tu savais. Tu savais que toi et moi étions prédestinés à de bien plus grandes choses. Tu voulais être un Docteur pour moi. Un Docteur avec un grand D. Aujourd’hui, tu l’es. Chaque jour que Dieu fait, tu l'es. Tu es la boussole dessinée sur mon avant-bras et tu me ramènes à la maison quand je ne sais plus laquelle est mienne, parce que tu l'es. Tu es ma maison. Mon chez-moi. L’ancre qui m’empêche de sombrer, l'encre aussi que je fais couler. Ce jour-là, tu as écrit que tu pouvais être une oreille pour moi. Une épaule, aussi. Et nous voilà rendus deux mois plus tard, et tu es l'oreille, la main, l'épaule, le corps, le cœur et l'âme...

Maintenant que tu es réveillé, et bien réveillé, retrouve-moi à la plage. 

— Elizabeth, Elizabeth, Elizabeth, murmura-t-il joyeusement distrait avant d'enfiler l'un de ces longs manteaux que seuls les anglais semblaient savoir revêtir avec élégance.

Assise sur l'un des rochers, Elizabeth contemplait la mer, un sourire aux lèvres et un crayon à la main. Ses cheveux étaient détachés, comme ils l’étaient lorsqu’elle se sentait bien. Comme ils l’étaient le jour de leur rencontre, et comme ils l’étaient depuis son premier jour à Teaghlach.

Ethan hésita à l’approcher, par peur de voir s’envoler cette sérénité qu’elle arborait. S’il avait été dessinateur, il n’aurait eu aucun mal à tracer l’auréole au-dessus de sa tête. Mais Ethan n’était pas elle. Ethan n’était bon qu’en un seul domaine, et cela lui suffisait. Le rôle de l’écrivain le comblait plus qu’il ne l’incombait.

Alors, il se mit à écrire. À écrire sur elle, et pour elle. Il prit du moins quelques notes, mentalement, depuis la baie où elle ne pouvait le surprendre. Il aurait aimé que le temps s’arrête et que l’instant se fige, pour pouvoir la contempler sans crainte d’être vu. Une minute ou deux lui aurait suffi. Une heure ou deux, peut-être. Elizabeth, dans ces bons jours, faisait partie de ces personnes qu’il était agréable de simplement regarder. Une profonde source d’inspiration.

— Bonjour, mon ange, finit-t-il par prononcer en baisant son front, la rejoignant après un long quart d’heure de dilemme qui s’avéra ne pas avoir été cornélien. 

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now