30. Entre "Si elle", Terre et Mère

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C'est parce que l'intuition est surhumaine qu'il faut la croire; c'est parce qu'elle est mystérieuse qu'il faut l'écouter; c'est parce qu'elle semble obscure qu'elle est lumineuse.”

Victor Hugo

Elle le lui avait dit à l’aube même de leur histoire ; elle aimait l’eau. Elle pouvait littéralement s’y noyer par pur plaisir. Inutile alors de préciser qu’en de pareils temps, son esprit avait occulté le sombre jour où elle s’y était effectivement noyée. Or, ce jour-ci, pour la première fois depuis l’incident qui avait bien failli lui coûter la vie, Elizabeth allait remonter à bord d’un ferry.

— Appelle-moi quand tu arrives. Et quand tu es triste, aussi. Ou fatiguée. Appelle-moi aussi quand tu es heureuse, je veux entendre ton sourire chasser la pluie. Bon sang, si tu savais comme je suis fier de toi, jolie française.

— Seulement du côté de mon père, le reprit-elle. Agnagnagna ?

— Scrogneugneu, lui répondit-il.

Un code secret, pour ne pas avoir à s’embrasser au beau milieu de la rue et de ces centaines d’inconnus, mais qui voulait tout de même dire "je t'aime".

— C’est ça, oui, Agloubiglouba… bou, les coupa John. Hey, Petite-Tête, je veux que tu poursuives ton traitement, hm ? Je compte sur toi. Mange, bois, dors, ris... Vis. Nous en avons parlé de longues heures, tu es prête pour cette nouvelle étape. N’hésite pas, si tu as besoin de quoi que ce soit, je...

— Ne vous en faites pas pour moi, John, tout ira bien, lui assura-t-elle en le laissant la prendre dans ses bras. Merci pour tout ce que vous avez fait.

— Tu n’avais qu’un mot à dire pour que je te suive, mais tu es tellement... bornée ! jura Lou lorsque vint son tour en lui donnant un coup d’épaule.

— N’oublie pas, tu dois manger de tout, même des petits trucs verts tout pas bon. Prends soin de toi, Lou, déclara-t-elle en effleurant son poignet.

John regarda sa montre, et les pressa. Alors, elle s’éloigna d’eux en leur faisant de grands gestes de la main, et monta à bord avec les autres passagers.

Elizabeth n’avait pas le mal de mer. Elle en avait peur. Elle avait peur de l’arrivée, plus encore que du trajet. Elle avait peur de retrouver sa famille après six mois d’absence et de silence radio. Elle avait peur, mais le temps avait fait son œuvre et l’eau avait coulé sous les ponts. Peut-être avait-elle le mal de mère.

Une cigarette au coin des lèvres, car si elle ne fumait plus, il y avait toujours des exceptions qui confirmaient les règles, Elizabeth spécula sur les jours à venir. Lui en voulaient-ils, d’être restée en Angleterre ? Et Ethan, comment était-elle censée leur parler de lui ? Et Teaghlach, devait-elle simplement les informer de son séjour là-bas, ou bien les confronter au sujet de son enfance passée entre ces mêmes murs ? La France, définitivement, l’effrayait.

Il y avait quelque chose d’inaccoutumé en elle ce jour-là. Elle crut d’abord avoir omis de prendre son traitement, mais revit Lou lui servir religieusement ce petit gobelet auquel elle était désormais habituée. Pourtant, quelque chose n’allait pas. La révolution de la Terre lui donnait la nausée. L’intensité du soleil l’aveuglait. Même sa déglutition était différente. Difficile. Ralentie. L’air était lourd. Il l’écrasait.

« — J’en suis littéralement arrivé à un point où…

Avant l’arrivée de Lou, les premiers jours d’Elizabeth à Teaghlach n’avaient, hélas, pas été un long fleuve tranquille. Et, à fleur de peau, sa relation avec John en avait pâti avant d’être celle qu’elle connaissait à présent.

Rendez-vous salle 209 Where stories live. Discover now