Chapitre 10 - Jack

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En apprenant l'hospitalisation d'Ashley, le docteur Chang s'était organisé auprès de la direction afin que sa protégée bénéficie de ce que l'hôpital avait de meilleur à offrir à ses patients. Je détenais l'information de l'une des administratives. Elle me l'avait confiée suite à ma demande de placer Ashley dans l'une de leur plus belle chambre.

Avec une vue imprenable sur la ville, la suite qu'elle occupait, disposait d'un salon privatif contigu à sa chambre. Sa décoration classique avec le sofa couleur olive, le tapis oval aux imprimés géométriques, les coussins en lin moutarde et le bureau en verre procurait une parenthèse à la discrétion du malade. Durant quelques secondes, je me scrutais dans un grand miroir au cadre doré et ne vis que le reflet d'un homme aux épaules affaissées et au regard éteint. Ma raison s'égarait, je n'avais pas le droit de m'apitoyer sur mon sort, seule Ashley comptait.

Je poursuivis mon inspection. La salle de bain, habillée de carreaux de ciment aux motifs hexagonaux, proposait une baignoire balnéo ainsi qu'une douche italienne avec un banc intégré, ce qui sera des plus utiles pour Ashley. Sa jambe plâtrée rendra ses gestes du quotidien plus compliqués, comme le simple fait de se laver ou de s'habiller. À son réveil, cette réalité lui sera très difficile à accepter. Elle qui affectionnait son indépendance devra, le temps de sa convalescence, compter sur son entourage pour la soulager.

Sur les deux tables médicalisées encadrant le lit d'Ashley, deux énormes bouquets de fleurs composés d'un mélange de roses jaunes, de marguerites et de chrysanthèmes, décoraient et embaumaient la chambre de leur parfum. Accompagnés de ces deux compositions florales, Claire avait également fait livrer des ballons dorés en forme de coeur avec dessus les inscriptions prompt rétablissement, je t'aime et arrête tes conneries. Mais le ballon qui attirait le plus mon attention était l'Emoji en forme de crotte. Partout où je me déplaçais, il me narguait béatement avec ses grands yeux ovales. Même perdue au fin fond de la forêt tropicale, Claire avait trouvé le moyen d'être présente auprès de sa meilleure amie et de me faire passer le message que j'avais grave merdé. Et à cela, je n'avais rien à y redire.

Ashley dormait toujours. Un homme de stature moyenne au teint olivâtre avec sur ses talons une infirmière l'avait amenée dans sa chambre, quelques minutes plus tôt. Avant de repartir vers d'autres patients, elle nous avait précisé que l'anesthésie n'allait pas tarder à s'estomper.

Les paupières closes, elle paraissait si paisible. Et pourtant, elle portait les stigmates de l'épreuve qu'elle venait de subir; la perfusion diffusant dans sa main droite par cathéter l'antidouleur, sa jambe plâtrée, sans parler des innombrables bleus sur son corps. Son rétablissement sera long. Durant les six prochaines semaines, elle devra renoncer à porter ses jeans pour se rabattre sur des jupes et des robes. Pour chance, selon les météorologues, les chaleurs de l'été étaient prévues d'ici quelques jours et s'ils ne s'étaient pas trompés, Ashley n'aurait pas à se préoccuper de finir avec les cuisses frigorifiées.

La voir allongée sur ce lit d'hôpital me rappelait qu'aujourd'hui, j'avais failli la perdre et cela ne faisait que conforter ma décision. Qu'elle le veuille ou pas, Ashley passerait sa période de convalescence chez moi à New-York. Là-bas, je prendrai soin d'elle. Je n'en avais pas encore fait part à Sœur Catherine, je souhaitai d'abord prévenir l'intéressée, même si je prévoyais déjà sa réaction. Mais rien ne me fera changer d'avis. Pas après ce que j'avais ressenti en la voyant ainsi étendue sur le sol, divaguant des phrases incompréhensibles sur ses parents et sur elle. Sans nul doute, le petit bémol dans mon projet résidait en la patiente la plus têtue qu'ait jamais connu cet hôpital. La connaissant, il ne sera pas aisé de la convaincre et son argument premier sera son travail, même si elle ne pourra plus opérer durant plusieurs semaines. La priver d'un scalpel, c'était comme la contraindre de s'abstenir de respirer, et il y avait fort à parier que l'absence d'oxygène impact fortement son amabilité habituelle. Mais cela ne comptait pas, je désirai quand même qu'elle soit à mes côtés.

La voix enrouée d'Hurl fendit le silence régnant tout autour d'Ashley. Dans sa gentillesse, il proposa de faire un passage rapide chez elle afin de lui rapporter des vêtements propres ainsi que le nécessaire de toilette. S'il n'y avait aucune complication, le chirurgien nous avait indiqué qu'elle sortirait de l'hôpital sous trois jours, alors j'accepta sa proposition tout en lui demandant de rester raisonnable sur la quantité de vêtements. Pour faire simple, il n'était pas nécessaire qu'il ramène la totalité de sa penderie.

Après son départ, Sœur Catherine déplaça le fauteuil de repos de couleur bleu roi disponible dans la chambre pour l'installer à côté du lit de sa fille. D'un geste maternel, elle caressa les courbes de son visage et lui susurra des mots réconfortants. Ses doigts entrelacèrent ceux d'Ashley pour les porter à ses lèvres et y déposer une multitude de baisers. Assister à ce moment mère-fille me renvoya en pleine figure ma propre culpabilité. À travers mes tourments, je perçu le regard affectueux de Sœur Catherine. D'un sourire bienveillant, elle me demanda d'approcher.

— Jack, arrêtes de t'infliger des souffrances inutiles. Tu n'es pas responsable de son accident.

— J'aurai dû rester avec elle. La protéger.

— Ce que j'aime le plus chez ma fille, c'est sa détermination. La première fois que nos regards se sont croisés, j'ai de suite admiré cette qualité chez elle.

Soeur Catherine caressa les cheveux d'Ashley à leur naissance.

— Elle désirait se recueillir sur les effets de sa mère, ajouta-t-elle, et elle se serait débarrassée de ton corps si tu n'avais pas respecté sa décision.

Je lui répondis par un pâle sourire. Sœur Catherine n'avait pas besoin d'être la mère biologique d'Ashley pour la connaître. Entre elles, il y avait toujours eu ce lien inconditionnel et indéfectible.

— Depuis le départ, finis-je par ajouter d'un ton las, j'avais ce pressentiment qui m'oppressait la poitrine et je ne l'ai pas écouté. Si je l'avais fait, Ashley ne serait pas étendue sur ce lit d'hôpital avec une jambe immobilisée et deux plaques à l'intérieur pour la consolider.

— Personne ne pouvait prévoir ce qu'il allait se produire, Jack. De plus, j'ai conscience de l'affection que tu as envers, Ashley, et donc je sais que jamais tu ne feras quoi que ce soit pour la blesser.

Je détournai mon regard pour le poser à nouveau sur elle qui détenait mon coeur.

— Le terme affection ne décrit pas exactement ce que je ressens.

Son visage s'illumina reflétant un ravissement total.

— Je suis heureuse de l'entendre, précisa-t-elle marquant une pause avant de poursuivre. Il me paraissait présomptueux de dévoiler tes véritables sentiments pour ma fille alors que tu ne lui as toujours rien dit.

— C'est compliqué, répondis-je

— Jack, j'ai conscience qu'être en couple avec Ashley n'est pas être simple au quotidien. Malgré tout l'amour que je lui porte depuis qu'elle est entrée dans ma vie, je n'ai pas réussi à guérir toutes ses blessures. Mais depuis qu'elle est avec toi, je constate chaque jour tout le bien que votre relation lui apporte. Elle rayonne, Jack. Et c'est grâce à toi.

Ses mots me touchaient profondément.

— Sœur Catherine, je souhaite prendre soin d'elle durant sa convalescence.

— Ici à Toronto?

— Non, à New-York, chez moi.

Mettre confié à Soeur Catherine allait m'attirer les foudres d'Ashley. Mais j'avais une paire d'as dans ma poche et elle jouera en ma faveur pour la convaincre à rentrer avec moi. Et qui c'est!? Peut-être que durant son séjour, elle arrêtera de fuir les sentiments qui nous liaient. 

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siOù les histoires vivent. Découvrez maintenant