Chapitre 26 - Jack

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Un silence annonciateur de mes pires craintes m'oppressa durant tout le trajet de retour à la maison. Toute la légèreté de la soirée s'était évaporée après le petit speech de mon frère, Éric. En actrice de talent, Ashley avait fait bonne figure jusqu'à notre départ revêtant des sourires de façade. Mais ils n'arrivèrent pas à masquer sa posture rigide et son regard lointain. Ses peurs avaient ressurgi pour l'entraîner à nouveau vers cet abysse où il m'était impossible de la suivre.

Arrivés à l'appartement, Claire eut droit à un pâle bonne nuit de la part de son amie. Quant à moi, redoutant la conversation qui allait suivre à l'abri entre les murs de notre chambre, j'y entrai le pas lourd. Mon bourreau m'y attendait, debout dans l'embrasure du dressing, me défiant de ses yeux hypnotiques. Son regard confessait une certitude et avant que les mots ne s'envolent de ses lèvres, je sus que les entendre me ferait perdre la raison.

— La grande maison blanche, le chien et les enfants qui courent partout dans le jardin, une famille avec toi, ...ou qui que soit, tu as conscience que je n'en veux pas.

Cette indifférence, cette froideur me replongèrent dans les débuts sombres de notre relation. Tels des serpents aux crocs venimeux, les fantômes d'Ashley ondulèrent autour de moi, murmurant à mon oreille mes pires contraintes. Mes paupières s'abaissèrent. Cette conversation venait beaucoup trop tôt. Ni elle, ni moi n'étions prêts à parler de nos désirs futurs, de cet avenir que nous pourrions construire, ensemble. Elle avait encore besoin de temps pour comprendre que cette vie qu'elle dépeignait avec dégoût, était la source de notre bonheur commun.

— Je ne peux pas te suivre sur cette voie. Je ne pourrai pas l'emprunter, ni maintenant, ni plus tard. Comprends-tu?

L'affolement dans sa voix. Sous mon silence, sa muraille s'effritait, me laissant entrevoir ce que son regard tentait de me dissimuler. Ashley était effrayée. Tout comme moi, elle redoutait l'issue de cette conversation. Alors pourquoi nous imposer cette souffrance? La réponse, je la connaissais. En dépit de l'accalmie de ces derniers jours et de tout ce que nous avions partagé, ses blessures n'étaient pas guéries. Tel un mantra, les conseils de mon frère me revinrent en mémoire. Être patient, lui laisser le temps de panser ses plaies. En cela résidait l'acte le plus raisonnable, mais qu'en était-il de ce poing dans ma poitrine? Celui qui enserrait mon coeur faisant surgir une douleur indescriptible.

Un besoin obsessionnel de la toucher, de me réapproprier son corps pour l'imprégner de la désolation dans laquelle elle avait plongé mon être, bouillait en moi comme la lave en fusion. D'un pas chancelant, je réduisis l'espace qui me tenait éloigné d'elle. Mes doigts glissèrent le long de sa tempe et poursuivirent leur course en direction d'une veine battant dans son cou. J'étais envouté par le sang qui s'échauffait sous sa peau. Malgré elle, à mon contact, son épiderme s'électrifia et ses lèvres s'entrouvrirent pour laisser s'échapper l'air qu'elle retenait dans sa cage thoracique. Les taches d'or dans ses iris verts s'assombrirent pour prendre une couleur proche de l'ambre. Etait-ce lié à son énervement ou au désir que ma caresse éveillait en elle? Sans doute un mélange des deux.

De la main, je dégageai son épaule, éloignant ses boucles pour qu'elles retombent sur son dos. À travers son crop-top, je parcourus sa clavicule, puis m'arrêtai sur sa cravate pour l'enrouler fermement dans ma paume. Instinctivement, sa nuque se raidit pour s'empêcher de répondre à la tentation de me livrer ses lèvres.

— Essayer de gagner du temps ne changera rien, Jack, confessa-t-elle sans l'ombre d'une hésitation dans sa voix cristalline. Toi et moi, on ne formera jamais une famille. Je veux être certaine qu'on soit en phase.

Sa détermination! La douleur qu'elle assénait dans ma poitrine. Tout serait tellement plus simple si mon âme ne lui appartenait pas. Je lui en voulais terriblement. Les désirs de son coeur ne faisaient pas écho aux miens. Peut-être que mon frère et ma soeur se trompaient. Peut-être que jamais cela ne changera, tel un commandement écrit dans la pierre.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siWhere stories live. Discover now