Chapitre 63 - Ashley

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Jack soumettait ses muscles à un crawl effréné. Comme si Poseidon en personne lui avait insufflé son pouvoir de domination sur toutes les eaux recouvrant la surface du globe, Jack pliait les vagues à sa simple volonté. Elles le vénéraient en s'écartant sur son passage le laissant progresser en opposant aucune résistance. La mer Tyrrhénienne s'étirait à perte de vue, jusqu'à cette ligne bleue qui se confondait avec l'immensité du ciel. Dans cette étendue azur, n'importe quel homme ne serait qu'une goutte, une tâche insipide. Il ne serait qu'un jouet, un instrument soumis aux caprices des eaux tumultueuses de la Méditerranée, mais pas Jack, non. Son corps puissant, la majestuosité avec laquelle il l'étirait pour fendre l'armure des vagues le rendait magnétique.

J'enfonçai mes ongles dans mon cuir chevelu jusqu'à rendre la douleur insupportable. Restée béante d'admiration devant Jack alors qu'un tsunami émotionnel m'emportait sur sa plus haute crête pour mieux projeter mon corps inerte dans un trou sombre sans fond ne m'aidait pas. Ma tête en ébullition était sur le point d'entrer en éruption. C'était le bordel. Je ne contrôlais plus rien. Ni les battements irréguliers de mon coeur. Ni la chaleur volcanique qui s'infiltrait dans chacun de mes canaux veineux, et qui rendait ma peau aussi rougeoyante que des bûches soumises à l'ardeur des flammes. Tout se mélangeait alors que pour me remémorer la scène dans son exactitude, il fallait que je retrouve mon calme. Mais tandis que les secondes s'étiraient en minutes depuis que Jack avait déposé un dernier baiser fugace sur mes lèvres, juste avant de se retourner pour aller nager, mon esprit n'était plus qu'une toile. Le fils de mes pensées était cousu d'accrocs qui m'empêchaient de réfléchir correctement. Tout c'était déroulé si vite! Jack venait-il de demander de l'épouser? Ou allait-il faire sa demande lorsque les préludes du soleil couchant se confondraient avec la ligne d'horizon?

Je relevai mon poignet. Combien de temps me restait-il avant que le crépuscule ne fasse son apparition? Trois heures, quatre heures tout au plus. Et ensuite quoi?! Je devrais revêtir une expression surprise emprise à une exaltation et une émotion larmoyante. De celles qui s'emparaient de toutes femmes amoureuses qui s'apprêtaient à se lier à l'être aimé. Je me mis à frissonner violemment. Ma température devait dépasser les quarante degrés Celsius. C'était l'explication la plus plausible pour justifier les tremblements qui secouaient mon corps. Déménager à New-York, obtenir l'autorisation d'exercer la chirurgie aux États-Unis, quitter Catherine, mes amis, ma famille, acheter une maison, y vivre avec Jack. Actuellement, ma vie était en chantier. Elle se construisait, suivait le chemin que maintenant je désirais tout autant que Jack.

Mais le mariage!

C'était une pierre que je n'étais pas prête à inclure dans l'édifice de notre avenir. En tout cas, pas dans l'immédiat.

Je replaçai mes fesses au centre de la serviette. Crier m'apaiserait peut-être? Mais je ne m'y risquai pas. À la place je me remémorai ces deniers jours. Quarante-huit heures que nous étions sur cette île, nos corps en permanence enchevêtrés et aucune alarme ne s'était mise à clignoter dans ma tête. J'étais dans l'incapacité de visualiser l'instant où cette idée avait germé dans l'esprit de Jack. Je ramenai mes cuisses contre mes seins pour trouver refuge dans la contemplation de mes genoux anguleux. Du pouce, j'effleurai les contours rugueux de ma cicatrice. Elle courait sur plusieurs centimètres. Un rappel constant du chagrin qui m'avait poussé à fuir l'horreur de la réalité. Après deux années en sommeil, cette réalité se rappela à moi. Ma Mère, Lyly, elle aussi avait été une épouse. Le glas sonnant la fin de son mariage se percuta contre mes os redoublement mes tremblements.

Merde!

Même si mon passé n'était plus une harpie dont les griffes acérées m'étaient mes chairs en lambeaux, cette pente restait trop dangereuse pour que je l'emprunte. Brusquement je me redressai. Après quelques secondes, je repris le contrôle de mes jambes, puis me dirigeai vers le ponton. Un Zodiac de huit places y était amarré sur le côté. Je le dépassai tout en étouffant la possibilité de monter à son bord pour m'enfuir sans un regard en arrière. L'idée était d'autant plus ridicule qu'étant novice dans la conduite de bateaux, j'avais de forte chance de me retourner à la première vaguelette. Et surtout m'éloigner de lui m'était inenvisageable. Cela signifiait m'arracher le coeur de la poitrine. À nouveau éprise par un terrible tiraillement, je m'assis au bout du ponton, et me privai de la vue pour laisser place à mes autres sens. Mes pieds chatouillés par les vagues savouraient la fraîcheur de l'eau. J'inspirai une interminable bouffée d'air jusqu'à ce que mes poumons trop pleins ne puissent plus accepter la moindre particule d'oxygène, puis en imitant le hennissement d'un cheval le relâcha tout.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siWhere stories live. Discover now