Epilogue - Jack

79 7 8
                                    

05 juillet 2016


La main d'Heather tremblait contre la mienne. Celle qui depuis moins d'un an était ma femme avait les nerfs à fleur de peau. Cet état de nervosité était devenu son quotidien après le deuil qui nous avant frappé quelques semaines avant le mariage. Quant à nos diverses tentatives restées infructueuses, elles étaient le catalyseur de son anxiété. Comme les tentacules d'une cellule cancéreuse, la déception d'Heather de ne sentir la vie grandir en elle gangrénait son humeur allant jusqu'à assombrir ses sourires et s'emparer de l'éclat de ses yeux gris.

Quant à moi, mes regrets me pourrissaient l'esprit. Lorsque je m'enfermais dans ma tête, c'était pour refaire le film de cette nuit. Ces heures dans ce bar ainsi que celles qui suivirent à mon appartement avaient chamboulé les cartes de mon destin. Je revoyais le regard désapprobateur de Raphaël lorsqu'enhardi par l'alcool qui échauffait mon désir de me libérer du souvenir d'Ashley, j'étais allé à la rencontre d'Heather. Avait-il pressenti qu'en l'emmenant dans mon lit, je perdrai toutes mes chances de bonheur? Ce fut au cours de cette unique nuit qu'Heather tomba enceinte. Un coup du sort que je ne m'expliquais toujours pas étant donné que nous nous étions protégés, et que je haïssais d'autant plus que depuis sa fausse couche, tous nos efforts pour concevoir un enfant restaient vain.

Seize mois me séparaient de cette soirée, et pourtant je n'arrivais pas à me défaire du gouffre qu'elle avait creusé dans mes entrailles. À mon réveil alors que les effets du bourbon s'étaient dissipés, la présence du corps chaud et nu d'Heather contre le mien m'avait rendu mélancolique. Sa présence sous mes draps n'était que l'écho de ma rupture. Comme la foudre qui s'abat violemment sur un arbre, l'évidence m'avait accablé. Aucune femme que je mettrai dans mon lit n'aurait le pouvoir de chasser, Ashley. Il était trop tard pour cela, son ADN était combiné au mien.

Si six semaines après notre nuit, Heather ne s'était pas présentée à l'Ischia pour m'annoncer sa grossesse, nous ne serions pas mariés. Nous ne le serions pas non plus si Ashley ne m'avait pas demandé de faire les choses bien. Après qu'elle ait quitté mon appartement, pareil à un possédé, je l'avais suivie jusqu'à son hôtel pour revenir sur mes mots. Il n'était pas trop tard. Seulement, pour ma fille, pour que mon rêve d'être père s'exauce, Ashley m'avait supplié de renoncer à nous, à elle, à notre amour. En raison de son passé, il lui était insupportable de retirer à un enfant la chance de grandir entouré de l'affection de ses parents. Déchiré par les deux chemins qui s'étiraient face à moi, après l'avoir aimée une toute dernière fois, je m'étais plié à sa demande. Heather ne serait pas non plus ma femme si après la perte du bébé, je ne m'étais pas retranché derrière l'exhortation de Soeur Catherine de laisser sa fille poursuivre le cours de sa vie. Ashley avait déménagé à Montréal pour retrouver la sérénité de son âme, et elle voulait que je respecte sa décision.

Etait-ce le lieu où nous étions qui s'amusait à me renvoyer le film de mes erreurs? Je regardai Heather dans sa blouse d'hôpital, assise sur le fauteuil gynécologique. Pour une multitude de raisons, elle et moi n'aurions pas du être liés par le sacrément du mariage. Et pourtant, elle était ma femme. Pour mon maintien psychologique, il fallait que mon union avec Heather ait un sens. Il fallait que je devienne père. Sinon à quoi pourrais-je me raccrocher pour me pardonner ?

Le pathétisme de ma vie n'était qu'une funeste plaisanterie. Les clapotis de la rivière s'intensifiaient contre la barque sur laquelle nous avancions depuis notre mariage. Plus forts, plus violents, j'avais le pressentiment qu'ils m'avertissaient de la chute qui nous attendait. Afin d'empêcher l'effondrement de notre couple, sur les conseils de ma mère, nous consultions un psychologue une heure par semaine. Au bout de la troisième séance, Heather avait exprimé son désarroi. Son incapacité à m'accorder le droit à la paternité la rongeait doucement. La voix brisée, ma femme avait expliqué qu'elle avait conscience que si elle n'était pas tombée enceinte, jamais je ne l'aurai épousée. Face à sa détresse, je lui avais demandé de ne pas douter de mon amour. En cela ne subsistait aucun mensonge. D'une certaine manière je l'aimais. Je tenais à elle. Elle éveillait chez moi une forme d'affection. En tout cas, je ne désirais pas être l'instrument de son malheur. Elle n'avait donc pas à savoir que tout mon être appartenait à une autre femme.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siWhere stories live. Discover now